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éclairer, de les fortifier et d’y entretenir une garnison assez nombreuse pour repousser les attaques qu’il faut nécessairement prévoir. Lorsqu’on aura fait ce grand sacrifice à la sécurité de la navigation, il y aura encore des naufrages, car la lueur des phares ne perce pas toujours les bancs de brume qui les enveloppent; il y en aura moins pourtant, et les marins auxquels nous nous serons chargés d’aplanir la voie se croiront naïvement bien plus savans que nous. Ils souriront de notre inexpérience, railleront nos terreurs, s’étonneront de nos précautions. Ainsi va le monde : il est rare qu’on rende justice à ses devanciers et qu’on leur sache gré des difficultés sans nombre qui ont accompagné leurs moindres découvertes. Les grands marins ont cependant vécu dans le passé ; nous n’en avons plus que la monnaie. Le premier qui franchit la porte de l’affliction et osa doubler le cap des Aromates se nommait, je crois, Timosthène. Je suis d’avis que le jour où l’on bâtira un phare sur le cap Guardafui, on lui érige sur ce même sommet une statue.


III.

Reprenons le cours interrompu de notre itinéraire, et accompagnons dans leur navigation les hardis marchands d’Alexandrie : ces marchands ne s’arrêtèrent sur la côte africaine qu’au point d’où Vasco de Gama, quinze siècles plus tard, prit son vol pour traverser, au mois d’avril 1497, l’Océan indien.

Au cap des Aromates finit la côte d’Adel et commence la côte d’Ajan, que les anciens appelaient l’Azanie. Le dernier comptoir de la côte d’Adel, Tabæ, reçoit et fournit les divers objets d’échange que nous avons bien des fois déjà mentionnés; il fournit notamment diverses espèces de cannelle : du zizir, de l’azypha, de l’arébô, du magla, du moto et enfin de l’encens. Dépassez la presqu’île que forme, en se projetant au large, le promontoire de Tabæ, — le Shenariff de nos cartes modernes, — poursuivez votre route 40 milles au-delà de ce cap, vous arriverez à un nouvel entrepôt, le marché d’Oponé. Sur ce marché, vous pourrez acheter de la cannelle, des aromates, de vigoureux esclaves fort appréciés en Égypte et la meilleure écaille de tortue de toute la côte. Oponé était située au sud du Ras-Hafoun. Pour visiter ces comptoirs éloignés, il convient de partir d’Égypte vers le mois de juillet. Les marchands de l’Ariace ou Indo-Scythie et de Barygaza, nous dirions aujourd’hui de la côte du Guzerat, y apportent du blé, du riz, du beurre, ou, pour parler plus exactement, du Chi, de l’huile de sésame, des cotonnades