Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlent à peu près la même langue, les autres ont chacune leur idiome particulier. Sur ce rivage, aussi bien que sur la côte barbaresque, les Ichtyophages vivent dispersés dans des huttes. Le haut pays, avec ses bourgs et ses pâturages, est occupé par des tribus inhospitalières : le navigateur que quelque accident fait tomber entre leurs mains est bien sûr d’être dépouillé ; s’il sort vivant du naufrage, il n’échappera pas à la servitude. Les chefs et les rois de l’Arabie n’ont cessé de poursuivre ces tribus indépendantes connues sous le nom de Canraïtes; c’est chez elles qu’ils vont chercher leurs esclaves.

La navigation de cette partie de la côte arabique est remplie de périls : une côte sans ports, sans mouillages, hérissée d’écueils et de roches, de toute façon horrible. Aussi préférerons-nous naviguer à mi-canal et gagner le plus promptement possible l’Ile brûlée. Au-delà de cette île, on rencontre des populations plus douces, adonnées à l’élève des troupeaux et des chameaux.

« Où sommes-nous? » demanderai-je, non pas à l’auteur du Périple, qui s’imagine m’en avoir dit assez pour que je m’y reconnaisse, mais bien à nos hydrographes, qui sont tenus de me montrer dans ces parages un volcan éteint ou en activité : « Nous sommes, me répond Muller, par 16 degrés environ de latitude. » Nous avons donc fait, sans nous en douter, bien du chemin. Il n’y a pas cependant à s’en dédire : voici, en effet, sous ce parallèle, à une quarantaine de milles de la côte d’Arabie, le Djebel-Tir, petit îlot élevé de 11 4 mètres au-dessus de l’eau, et ce Djebel-Tir est un volcan.

Continuons de suivre la rive gauche du golfe : à 120 milles environ du port éthiopien de Bérénice, nous rencontrerons le comptoir arabe de Muza. Nous touchons presque au détroit de Bab-el-Mandeb ; nous avons laissé derrière nous des ports nombreux que n’a pas connus l’auteur du Périple et qui sont aujourd’hui fréquentés par les barques de Suez ou par les boutres du Golfe-Persique : Djeddah, la grande échelle de la Mer-Rouge, Djeddah qui n’est qu’à 60 milles de la ville sainte, et qui voit chaque année, à l’époque du pèlerinage, plus de soixante navires à voiles de 500 tonneaux, accourant de tous les points de l’Inde et de la Chine, se presser dans son port ; Coumeïdah, où se trouve la meilleure eau de la côte; Hodeïdah, d’où s’exporte presque tout le café de l’Yemen : nous sommes arrivés tout droit à Moka. Quand cette ville portait le nom de Muza, son port était rempli de vaisseaux arabes et sa population appartenait tout entière au commerce maritime. C’était la Marseille de l’Arabie. De cet endroit partait pour la Libye ultérieure, c’est-à-dire pour les derniers comptoirs africains que nous venons de visiter, et pour Barygaza, sur la côte du Guzerat, une