Pont-Euxin et à la mer Caspienne, près de laquelle se trouve le Palus Méotide, qui se jette dans l’Océan. Chaque année, se présente sur les frontières des Thines une race d’hommes au corps chétif, à la face large, d’humeur douce, semblables à des bêtes sauvages. On appelle ces tribus errantes des Sésates. Les Sésates émigrent avec leurs femmes et leurs enfans, portant de grands paniers remplis de feuilles assez semblables à celles de la vigne. Ils demeurent pendant quelques jours sur la frontière qui leur est commune avec les Thines, font grande fête, couchés sur leurs paniers, puis ils s’enfoncent de nouveau dans l’intérieur et retournent chez eux. Les habitans de la contrée des Thines attendent le départ des Sésates et viennent alors ramasser les corbeilles abandonnées. Avec des roseaux qu’ils appellent des pètres, ils fabriquent des tamis à travers lesquels ils passent, après les avoir pliées et roulées, les feuilles apportées par les Sésates. On recueille ainsi trois espèces de feuilles les plus grandes fournissent le malabathrum hadrosphærum, nous disions aujourd’hui le thé souchong; les moyennes, le mesophaerum, très probablement le thé péko ; les plus petites le microphærum, thé vert, thé impérial ou thé poudre à canon. Ces trois sortes de malabathrum sont ensuite apportées dans l’Inde par ceux qui les ont fabriquées.
Les contrées qui suivent le pays des Thines soit à cause des tempêtes trop fréquentes qui les dévastent, soit à cause des froids extrêmes qui y règnent et qui en rendent l’accès affreusement difficile, n’ont jamais pu être explorées.
Quel singulier mélange d’erreurs et de vérités nous offre ce Périple! Convenons-en pourtant; sans ce témoignage dérobé au grand naufrage qui a englouti tant de documens précieux, aurions-nous soupçonné le commerce des Romains d’avoir pris une telle extension ? Que de siècles il faudra pour que nous revoyions ces parages où les flottes d’Alexandrie allaient chaque année aborder ! Grâce à Hippalus et à Claude, Alexandrie devint bientôt la seconde ville de l’empire, la première peut-être sous le rapport de la richesse, du commerce et de la prospérité. Le poivre, à dater de ce moment, se paya moins cher; la soie continua de demeurer une marchandise des plus rares : sous le règne d’Aurélien, la livre de soie équivalait encore à une livre d’or. C’est que la soie venait de la Chine et que les Européens n’abordèrent sur les côtes du Céleste-Empire qu’en l’an 1514 de notre ère, lorsque Ferez de Andrada conduisit le premier vaisseau portugais à Macao.
JURIEN DE LA GRAVIERE.