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nous n’avions guère à constater que son avilissement et la triste dépendance où il était, tantôt de la magistrature, et tantôt du pouvoir. À cette heure, en le suivant sur la même carte, que d’heureux changemens à constater ! Partout où l’appareil de la justice s’est amélioré, le barreau s’est affermi et a été constitué sur de plus larges bases. Bientôt, il faut l’espérer, cette essentielle et primordiale garantie de la liberté humaine, la défense, ne fera plus défaut à aucun peuple. L’Orient lui-même a compris que, s’il n’est pas de justice sans de véritables tribunaux, il n’est pas de tribunaux dignes de ce nom sans le concours du barreau, et là où la dénomination d’avocat manquait à la langue, parce que l’avocat était chose inconnue, avocat désormais existe et exerce son ministère. Ajoutons que, dans cette importante réforme, le barreau étranger s’est rapproché autant qu’il était en lui du barreau français, dont il a emprunté les règles. Or, par une coïncidence singulière, c’est dans le temps même où il sert ailleurs d’exemple que le barreau est devenu chez nous l’objet de certaines critiques. Sont-elles fondées? Les législations étrangères se seraient-elles méprises dans leur choix et ne mériteraient-elles pas aussi quelque reproche ? Le point vaudrait tout au moins d’être vérifié. Certes, le barreau français a eu ses mauvais jours; il a traversé plusieurs phases et l’oppression lui est venue de plus d’un côté; le trouvant presque aussi vieux que la société qu’elle entreprenait de rajeunir, la révolution du dernier siècle lui a fait connaître, sans le vouloir, les plus dures épreuves, mais, somme toute, il en est sorti en reprenant possession de ses franchises. Toutefois, ces épreuves elles-mêmes sont encore des enseignemens, aussi bien pour nous que pour ceux qui se sont inspirés de notre régime, et il faut d’abord en parler.


I.

L’ancien barreau français jouissait d’une puissante autonomie, et mettait à l’accomplissement de sa tâche un dévoûment, une science qui n’ont pas été dépassés. On s’étonnera toujours que la plus libérale des assemblées ait désorganisé ce barreau, alors surtout que, dans ses essais, la justice avait besoin d’être entourée de plus de garanties ? Était-il au nombre des institutions qui sollicitaient des réformes, après avoir fait leur temps sous un régime qui disparaissait sans retour? Était-il moins utile dans la nouvelle constitution du pays? Comment s’expliquer que l’assemblée constituante, qui, pour le dire en passant, comptait beaucoup d’avocats, ait voulu s’inscrire contre la première des libertés, celle de la défense? Elle avait emprunté, à Paris, Tronchet, Target, Treilhard, Camus ; à Rouen,