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même. Chez eux, le négociant en peinture l’emporte quelquefois sur le peintre. Le commerce auquel ils se livrent est, d’ailleurs, un commerce très honorable; et le monde paraît le mettre fort au-dessus de celui des soieries ou des cotonnades. Tel marchand en gros de la rue du Sentier ne serait pas reçu dans certains salons où tel fabricant de toiles peintes est choyé, fêté et admiré. On établit entre eux une différence qui n’existe pas toujours. Les préjugés ont changé sur ce point, et la peinture, si méprisée jadis, est devenue « un métier noble, » comme autrefois la verrerie. Où est le temps où l’artiste était une sorte de bohème odieux au « bourgeois, » et aux « personnes comme il faut, » que les caricatures représentaient vêtu d’une blouse et coiffé d’un chapeau pointu? Cet être bizarre a disparu pour faire place à un monsieur bien mis, décoré, reçu partout, qui tient ses livres en partie double, fonde des sociétés, vit en bon bourgeois, fait la hausse et la baisse sur les grands marchés artistiques, exploite l’Europe, exporte en Amérique, et finit par ouvrir, sur les nouveaux boulevards des quartiers aristocratiques, une boutique qui a la forme d’un hôtel.

Ces deux genres d’artistes si différées, si dissemblables : l’artiste qui travaille pour lui-même et l’artiste qui travaille pour les autres, devaient, un jour, être séparés, ou du moins il était nécessaire que, pour les uns et pour les autres, on fît des expositions différentes. Pour parler plus exactement, il était indispensable, non pas à la vérité de créer deux classes de peintres et de sculpteurs (ce serait aller un peu loin), mais de séparer, au moins de temps en temps les œuvres qui n’ont d’autre but que l’art pur, de celles qui, pleines de mérite sans doute, ont gardé un caractère commercial.

La nécessité de cette séparation avait été, depuis plusieurs années, reconnue; elle ne s’est pas imposée, comme on a pu le croire et comme on a voulu le dire, — à partir de la constitution de la société des artistes, — mais, dès 1878, elle semblait inévitable. À cette époque, un des artistes les plus éminens de notre école, un de ceux qui ont su le mieux honorer la noble profession qu’ils exercent, un de ceux qui, au plus haut degré, ont le souci de la dignité et de l’indépendance des artistes, et qui savent ciseler la phrase avec cette habileté élégante qu’ils mettent à sculpter le marbre, demandait hautement, dans un rapport, véritable point de départ de l’Exposition nationale de 1883, qu’il y eût, à l’avenir, deux sortes d’expositions : les expositions annuelles ou salons et les expositions triennales ou récapitulatives : « Les unes seraient, pour ainsi parler, disait-il, les expositions des artistes, et les autres, les expositions de l’art. » Dans les premières, on assisterait chaque année à la libre expansion de l’art national dans l’innombrable variété de ses productions les plus récentes; dans les secondes, on trouverait, à des époques périodiques,