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Le souverain inconvénient de la politique suivie jusqu’ici a été de traîner sans cesse, de ne rien entreprendre qu’à demi et d’engager la France sans idées précises, sans moyens suiiisans dans toutes ces affaires qui ne se dénouent jamais, qui finissent par avoir une assez triste influence sur notre position et nos relations en Europe. La vérité est que ces relations sont au moins difficiles et pénibles un peu partout. Que le prince impérial d’Allemagne aille aujourd’hui faire un voyage et rendre visite au roi Alphonse, ce n’est pas là peut-être ce qu’il y a de plus caractéristique dans la situaiion qui nous est faite en Europe. La France, après la galante réception que ses démagogues ont faite au jeune roi d’Espagne, serait assez naïve de s’étonner que d’autres songent à proliter des indignités révolutionnaires que nous ne savons ni prévenir ni réprimer, que nous pouvons tout au plus réparer sans les faire oublier. Quelque importance qu’ait d’ailleurs, dans les circonstances présentes, le voyage du prince allemand au-delà des Pyrénées, il ne faut rien exagérer. C’est une visite à laquelle les incidens de Paris donnent un certain sens ; en réalité, l’Espagne est assez occupée de ses affaires intérieures, elle a assez peu le goût des aventures et elle est même assez hère pour ne songer ni à se jeter dans des alliances continentales, ni à rechercher un protectorat lointain dont elle n’a pas besoin. La visite du prince impérial d’Allemagne restera probablement ce qu’elle est, un acte de courtoisie sans conséquences diplomatiques, sans influence sur l’état du monde. Ce qui serait plus grave, à notre sens, ce serait si toutes ces affaires où nous sommes engagés finissaient par modifier, par refroidir d’une manière sensible et permanente nos relations avec l’Angleterre. Il y a eu, dans ces derniers temps, des incidens pénibles tantôt au sujet de notre entreprise au Tonkin, tantôt au sujet de Madagascar, cela n’est pas douteux. Contre ce danger, il n’y a qu’une garantie, c’est le bon esprit des gouvernemens qui vient de se révéler encore une fois dans le banquet du lord-maire, où notre ambassadeur, M. Waddington, a poussé aussi loin que possible, trop loin peut-être, le désir de plaire aux Anglais, et où M. Gladstone s’est plu à relever le caractère amical du langage de notre ambassadeur, l’importance des relations des deux pays. Après tout, on peut essayer de nouer en Europe bien des alliances qu’on dit pacifiques et défensives. L’alliance de la France et de l’Angleterre est aussi pour la paix du monde une garantie, — et sans doute la plus sûre, la plus efficace.

CH. DE MAZADE.