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que la capitale de l’Autriche-Hongrie ne serait ni assez spacieuse, ni assez splendide pour recevoir, comme à Paris, les visiteurs du monde entier. La spéculation s’empara de ce préjugé. Une grande société immobilière se forma, et ses actions obtinrent aussitôt une plus-value qui fit une sensation profonde dans le monde des affaires. Le succès enfante des imitateurs, et pendant quatre ans, de 1870 à 1873, on voit surgir, sans que l’engouement du public s’épuise, des banques ayant pour prétexte la spéculation sur les terrains et les bâtimens. Les émissions auxquelles ces affaires donnent lieu, soutenues par les ruses les plus subtiles de l’agiotage, trouvent preneurs dans toutes les classes, avec des primes plus ou moins fortes, et, comme tout est en hausse, tout le monde se croit riche.

Ces bénéfices, qu’on peut monnayer tant que l’illusion dure, produisent leur effet ordinaire : un enchérissement des marchandises et des services proportionnel à l’accroissement du pouvoir d’achat. On se proposait, à l’origine, d’améliorer pour toutes les classes les conditions du logement. Le haut prix qu’il fallut mettre aux terrains, la cherté toujours croissante des matériaux et de la main d’œuvre aboutissent à l’effet contraire. Il résulte d’un petit questionnaire que j’avais envoyé à Vienne, et qu’un appréciateur très compétent a eu l’obligeance de remplir, que les prix courans des terrains, dans la période antérieure à 1870, se sont trouvés triplés, quintuplés, quelquefois même décuplés en 1872. L’habitation étant devenue l’élément principal du jeu, on achetait, on revendait des maisons sans s’inquiéter du rapport. On entreprenait des bâtisses pour avoir prétexte à lancer des actions et sans songer aux locataires futurs ; de là une progression rapide et excessive dans le prix des loyers. Le correspondant de qui je tiens ces détails écrit : « Moi-même, j’ai payé en 1867, pour un appartement de garçon et une chambre de domestique 2,000 francs (800 florins). En octobre 1872, le même appartement fut loué 4,000 francs. »

La cherté de l’habitation suscite des besoins, commande un certain luxe qui détermine l’enchérissement de toute chose. Il y a eu à Vienne un moment, vers 1872, où les prix courans du travail et des consommations étaient presque généralement doublés. Tout était soldé par les gains trompeurs de la Bourse. Au commencement de 1873, un froid se répand. On pressent que les difficultés de l’existence pourraient bien écarter l’affluence des étrangers sur laquelle on comptait. L’ouverture de l’exposition, le 1er mai, confirme cette crainte : elle est accueillie par une forte baisse à la Bourse, et le 9 mai, à l’annonce d’une faillite stupéfiante, l’effondrement a lieu. La panique atteint non-seulement les spéculateurs de profession, mais les gens de toute classe, parce que le trafic sur les actions s’était généralisé. Les meilleures valeurs