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évident qu’un pareil déficit a une autre cause que l’insuffisance du métal monétaire. Il est permis de croire que la place de Londres, où la spéculation artificieuse joue aussi un grand rôle, a laissé retomber dans le néant des valeurs gonflées outre mesure et devenues irréalisables, ce qui a réduit d’autant les ressources disponibles pour acheter.

La leçon est sévère ; elle ne sera pas perdue. La langueur momentanée du marché français n’est pas, au fond, un mauvais symptôme : elle permet de croire que la folie de l’aléa, la passion enfiévrée du gain sans travail, s’est amortie. Les capitaux disponibles, aujourd’hui stagnans par excès de timidité, se ranimeront peu à peu : ils ne se laisseront plus éblouir par la hausse artificielle des valeurs. La Banque et la Bourse abuseront moins du terme et du report : on s’appliquera à rassurer le comptant. Offrir des placemens solides, concevoir des entreprises de nature à développer la production, ce deviendra pour les grands spéculateurs la lutte pour l’existence. Les ouvriers, à la lumière qui jaillit de temps en temps de leurs ardentes discussions, verront peut-être que le salut pour eux, le moyen de capitaliser à leur tour, réside bien moins dans le chiffre élevé du salaire que dans la vie à bon marché. La convalescence après la maladie amène ordinairement un retour vers la sagesse; nous en sommes là : mais, pour que ces bonnes dispositions portent leurs fruits, il faut que la prévoyance des gouvernans, les forces intellectuelles de la science, le concours des praticiens expérimentés, le bon sens public, abordent et sondent dans leurs mystérieuses profondeurs le problème de la capitalisation. Il faut qu’on trouve le moyen de moraliser les sociétés financières et commerciales, les agissemens de la Bourse, le rôle des agens de change, et que, sans gêner l’accroissement des capitaux effectifs, on surveille le gonflement artificiel des valeurs, qu’on prévienne autant que possible les émissions entachées de fraude, sans quoi on retombera périodiquement, et à des dates de plug en plus rapprochées, dans ces accès de folie contagieuse qui renouvelleront les désastres du krach et un surcroît de l’enchérissement.

Ce n’est pas un vœu idéal que j’exprime en ce moment : c’est une espérance déjà justifiée en plusieurs pays par un commencement d’exécution. En Autriche-Hongrie, où l’on a tant souffert de la spéculation désordonnée, un projet de loi sur les sociétés anonymes et les commandites par actions a été soumis au parlement : il contient des dispositions sévères et fera obstacle à beaucoup de fraudes, si le frein n’est pas relâché dans la pratique. En Angleterre, la haute banque est préoccupée de l’excès des jeux de Bourse; elle commence à en entrevoir les dangers, et on parlait il y a peu de mois d’une large suppression de crédits qui aurait fait sortir du Stock-Exchange