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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/596

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où ils étaient nourris de foie de mouton pilé avec de la farine de maïs. Ils passaient, au commencement de la seconde année, dans un bassin de 10 mètres de long environ sur U mètres de large, alimenté par une eau courante, où ils recevaient la même nourriture. La troisième année, les jeunes truites étaient lâchées dans une rivière fermée par une grille et renfermant assez de poisson blanc pour leur alimentation. Elles se trouvaient dans un milieu favorable, car elles grandissaient rapidement, au point que plusieurs atteignaient le poids de 2 kilogrammes, mais, en même temps, elles diminuaient en nombre, et c’est à peine si chaque année on pouvait en trouver 20 kilogrammes à faire figurer sur les tables. Or la nourriture coûtait environ 500 francs par an; en y ajoutant le prix des œufs et les frais d’entretien, on arrivait à une dépense totale de 950 à 1,000 fr., qui portait à 50 francs le prix du kilogramme de truite consommée. Il m’a paru inutile de continuer plus longtemps une expérience aussi concluante, ayant acquis la conviction que, pour avoir du poisson, il valait mieux l’aller chercher à la halle que de l’élever soi-même.

Je ne doute pas que tous ceux qui ont fait des tentatives analogues ne soient arrivés à la même conclusion. Les pisciculteurs allemands ont calculé, en effet, que, pour des truites élevées dans des bassins fermés, il faut 15 kilogrammes de viande absorbée, sans compter celle qui se perd, pour produire un kilogramme de truites valant environ 6 francs. Par conséquent, lorsque le prix de la viande est supérieur à 0 fr. 40 le kilogramme, celui de la truite dépasse le cours du marché ; et comme c’est chez nous le cas ordinaire, il n’y a pas lieu de nous adonner à cette spéculation. On arrive à un résultat analogue si, au lieu de viande, on cherche à nourrir ses truites avec des poissons herbivores ; la valeur de ceux-ci est toujours plus grande que celle du produit obtenu.

Il n’est donc pas difficile d’élever du poisson, mais il est difficile d’en élever avec profit. En pisciculture comme en agriculture, on doit chercher à transformer les produits de moindre valeur en produits d’une valeur supérieure, et pour qu’on y trouve son compte, il faut que la nourriture qu’on donne aux poissons vaille moins que les poissons eux-mêmes. S’il peut être quelquefois avantageux, en raison de la petite dépense qui en résulte, de produire artificiellement, comme Remy l’a fait dans les Vosges, et de lâcher dans les cours d’eau des alevins d’espèces voraces, qui peuvent trouver à s’y nourrir spontanément, il est rare qu’il soit avantageux de les élever en stabulation. Et voilà pourquoi la pisciculture en France est restée jusqu’ici à l’état de théorie et n’a encore profité qu’à ceux qui ont eu l’habileté de l’exploiter sous cette forme.