Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces animaux des mesures de protection, demanderait au contraire qu’on en provoquât la destruction.

Mais lors même que toutes les mesures que nous signalons plus haut seraient prises, lors même que les prescriptions de la loi seraient observées, lors même que la surveillance serait efficace, il est douteux que la population aquatique s’accroisse sensiblement tant que l’exercice de la pêche, tel qu’il résulte de la constitution de la propriété des cours d’eau, restera ce qu’il est aujourd’hui. Aux termes de la loi, en effet, le cours inférieur des fleuves jusqu’à la limite de la salure des eaux est du domaine maritime ; la pêche en est réservée, par conséquent, aux marins inscrits. Au-dessus, tant qu’ils sont flottables et navigables, les cours d’eau restent la propriété de l’état, qui les loue à son profit, par lots de plusieurs kilomètres de longueur; plus haut encore, lorsqu’ils cessent d’être navigables ou flottables, ils deviennent la propriété des riverains, qui seuls ont le droit d’y pêcher. La plupart n’usent pas de ce droit, et, le considérant comme peu important, ne s’opposent même pas au braconnage qu’on vient exercer dans leurs eaux. Si l’on y jette de la chaux pour s’emparer du poisson qui s’y trouve, aucun d’eux ne s’en plaint, parce qu’aucun n’y a un intérêt suffisant; aucun non plus ne cherche à les repeupler puisqu’aucun ne consent à faire un sacrifice quelconque dont il n’est pas seul à profiter. Voilà donc, dans un même bassin, trois catégories de pêcheurs : les marins, les adjudicataires de l’état et les propriétaires riverains, dont les intérêts devraient être solidaires, et qui, précisément, loin de réunir leurs efforts en vue de la conservation et de la multiplication du poisson, agissent isolément et cherchent à en prendre le plus possible au détriment les uns des autres.

En Angleterre, le problème du groupement des intéressés a été résolu par l’abandon que l’état a fait du droit de pêche aux riverains dans toute l’étendue du cours d’eau et par l’association, en quelque sorte obligatoire, de tous ces riverains pour l’exploitation de ce droit, sous la surveillance des pouvoirs publics. En Allemagne, on est arrivé à un résultat analogue en partant d’un principe absolument opposé, c’est-à-dire par l’expropriation des riverains et par la location des cours d’eau, navigables ou non, au profit de la communauté. Les Allemands ne reculent pas devant les solutions violentes, ils cherchent le côté pratique des choses et font, quand ils y trouvent leur intérêt, bon marché des principes. C’est ainsi que le droit de chasse n’est reconnu qu’aux propriétaires possédant plus de 25 hectares d’un seul tenant; les autres en sont dépouillés et leurs biens sont loués au profit de la commune. Celle-ci y trouve son compte, mais le droit de propriété est foulé aux pieds en faveur de ceux qui