Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aisée, il n’en est pas moins vrai qu’elle ne peut produire ses fruits qu’à la condition d’être conduite avec des vues d’ensemble et une résolution soutenue. Il ne suffit pas de laisser aller dans toutes les directions les hardis aventuriers qui se lancent avec tant de courage sur les continens les moins explorés et, lorsque l’un d’eux semble réussir, de lui envoyer quelque secours. Il ne suffit pas non plus d’attendre que les questions naissent d’elles-mêmes et de chercher alors, sous le coup de la nécessité, à leur donner des demi-solutions. C’est ce que nous venons de faire en Tunisie, à Madagascar, au Tonkin, au Congo. Toutes nos entreprises ont été ou plutôt sont encore isolées; nous n’en avons calculé ni la portée ni les conséquences; nous ne les avons pas rattachées à un plan général mûri d’avance et qui se rapportât à la fois à notre politique intérieure et à notre politique extérieure. Au moment même où nous nous emparions de la Tunisie, où nous augmentions le nombre de nos sujets arabes, nous continuions de plus en plus en Algérie à mécontenter les indigènes par des mesures aussi injustes que maladroites. Nous sommes une grande puissance arabe, et nous n’avons pas encore compris qu’il en résultait, pour nous l’obligation d’avoir une politique arabe! Plus tard, une révolution a éclaté en Égypte. Nous venions, comme je le disais, de conquérir une nouvelle province musulmane, nous nous préparions à lancer des expéditions sur tous les points de l’Asie et de l’Afrique: n’importe! Nous avons déclaré que cette révolution ne nous regardait pas, et nous avons laissé l’Angleterre aller seule au Caire et à Port-Saïd, s’emparer d’une des villes les plus importante de l’islam, et de la plus grande route commerciale du monde! De plus, nous avons détruit l’alliance anglaise qui empêchait nos voisins de nous faire sur les mers une trop dangereuse opposition. Toutes ces fautes commises, nous avons jugé l’heure favorable, et nous sommes partis pour le Tonkin. Hélas! là aussi, nous avons immédiatement fait preuve de cette incapacité où nous paraissons être d’envisager les questions dans leur ensemble sans nous perdre dans les détails secondaires. Qu’est-ce pour nous que le Tonkin? Est-ce une simple province, d’une richesse plus ou moins grande, une sorte de Cochinchine nouvelle moins insalubre que la première? Assurément non; car, si ce n’était que cela, nous serions insensés, dans l’état actuel de nos affaires, le lendemain de la prise de la Tunisie et de notre rupture avec l’Angleterre, d’y aventurer nos soldats et nos millions. Le Tonkin est la clé du Yun-nan et l’une des plus belles positions qu’on puisse occuper sur les mers de Chine. Voilà pourquoi nous nous y rendons. Mais comprend-on alors que la première chose que nous ayons faite, en partant pour cette expédition lointaine, soit de nous être brouillés avec la Chine, qui sera toujours maîtresse de nous fermer le Yun-nan