Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où ils ont immédiatement ouvert une école, établi une petite imprimerie et réuni des centaines d’ouvrages français, qu’ils répandent dans tout le pays.» Il ajoutait que partout où il avait passé, en Ethiopie, en Arabie, il avait également vu les missions devenir des centres français. Je dois avouer que ce nouveau témoignage, venant d’un homme qui, en ces dernières années, a mené à bonne fin une des plus belles entreprises scientifiques extérieures que la France ait conduites, m’a beaucoup plus frappé que les affirmations téméraires de M. Lockroy corroborées par les plaisanteries de M. Camille Pelletan.

Le second écueil qui, dans nos mœurs actuelles, contrarie l’œuvre coloniale, est d’un tout autre genre. Nos chambres ont pris en suspicion et en aversion l’initiative privée, et surtout celle des sociétés financières. « Nos chambres inexpérimentées, a dit à ce sujet M. Paul Leroy-Beaulieu, se sont prononcées en France pour les entreprises de travaux publics directement faits par l’état : on est arrivé à cette effroyable débauche du plan Freycinet, qui a failli ruiner à tout jamais nos finances. Tout ce qui est société financière ou homme de finances excite dans la chambre la suspicion ou la réprobation, quoique, par une singulière contradiction, les trois quarts de nos députés recherchent avec avidité la situation d’administrateur de société anonyme. Nos chambres veulent voir dans toutes les entreprises des scandales financiers, ce que l’on appelle d’un mot grossier des tripotages. Le rachat de la dette tunisienne? spéculation privée et éhontée ! La construction des chemins de fer algériens et tunisiens ? spéculation également accompagnée de collusion ! Voilà comment nos chambres comprennent de prime abord toutes les affaires. Aussi elles regimbent devant les entreprises les plus utiles; elles s’y refusent ou les retardent comme pour le rachat de la dette tunisienne ; ou bien encore elles veulent tout faire faire par l’état, comme pour les chemins de fer du Haut-Sénégal, et elles oublient qu’en France, du moins, l’état fait tout lentement et chèrement. Certes, nous ne prétendons pas que tous les financiers soient probes, ni même que beaucoup d’entre eux aient le désintéressement d’Aristide ou l’élévation morale de Marc Aurèle. C’est M. Guizot, je crois, qui a dit que la politique n’est pas une œuvre de saints ; la finance non plus n’est pas une œuvre de saints ni d’ascètes; il ne s’ensuit pas que toutes les entreprises privées soient des traquenards. Par leur suspicion exagérée vis-à-vis des sociétés financières, les chambres se privent des concours les plus utiles. Si une demi-douzaine de financiers doivent gagner un ou deux millions dans une affaire qui doit être profitable