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en aide aux travailleurs durant les crises économiques afin de les empêcher d’en subir les atteintes. Ce n’est plus le droit au travail tel qu’on le proclamait en 1848, c’est, paraît-il, le droit du faible. Si l’on parvient à saisir la nuance, on est évidemment doué d’une profonde perspicacité. Droit au travail ou droit du faible, de quelque nom qu’on décore ou qu’on masque le socialisme, de quelque qualificatif qu’on se serve pour le dissimuler, il est impossible de ne pas signaler les périls qu’il risque de faire courir à notre pays. On comprend, dans une certaine mesure, qu’un gouvernement aristocratique, comme l’était par exemple le sénat romain, ou qu’un gouvernement monarchique, comme l’est l’empire allemand, ne recule pas devant le socialisme pour écarter les révolutions politiques et sociales dont il se sent menacé. Ne dépendant point directement de ceux auxquels il assure du travail et des avantages matériels, ayant une origine qui le place au-dessus d’eux, qui lui donne à leur égard une grande liberté d’action, il peut diriger le socialisme de manière à amortir et à détruire peu à peu les crises économiques. Qu’une grande ville comme Rome ou Berlin vienne à regorger d’ouvriers sans ouvrage, il est assez fort pour attirer un grand nombre d’entre eux dans des ateliers qu’il ouvre au loin sur son propre territoire ou dans les colonies. De cette manière, le socialisme vient en aide aux lois économiques; il ne les contrarie pas. Mais un gouvernement démocratique, populaire, issu du suffrage universel, ne saurait faire du socialisme qu’au rebours des lois économiques et de façon à perpétuer les crises au lieu de les atténuer. Tenant son pouvoir de ceux mêmes qui lui demandent du travail, s’il refuse de leur en donner dans le lieu où ils le demandent et dans les conditions qu’ils exigent, ils se soulèvent aussitôt contre lui et le renversent. Peu importe qu’en cédant à leurs réclamations il empire le mal ! Il n’est pas libre de faire autrement. Ce qu’on appelle le droit du faible est en réalité le droit du fort ; car le fort, c’est le travailleur, c’est l’électeur, c’est le peuple, c’est la majorité; tandis que le faible, c’est le capitaliste, c’est le contribuable fortement imposé, c’est la minorité dont l’influence est noyée dans la masse du corps électoral. Le socialisme d’état est donc interdit aux gouvernemens démocratiques qui veulent rester libéraux; il ne l’est pas moins à ceux qui veulent avoir une grande politique coloniale. En empêchant, en effet, les lois économiques de s’exercer, d’amener des déplacemens de populations, d’inspirer à ceux qui souffrent le désir de chercher hors des frontières le bien-être qui leur manque à l’intérieur, il entrave l’émigration, il la rend impossible. Tout le monde prétend vivre aux dépens du sol national, et cette masse d’appétits l’épuisé bien vite. Au lieu d’aller ouvrir au loin des sources de richesses nouvelles, les capitaux sont dévorés sur place en entreprises