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D’avance et sur la foi du cardinal, Louis XIV savait ce que valait Colbert. « J’avois en lui, dit-il, toute la confiance possible, parce que je savois qu’il avoit beaucoup d’application, d’intelligence et de probité[1]. » En effet, « rude, renfermé, taciturne, infatigable au travail, passionnément dévoué à l’ordre, au bien public, à la grandeur paisible de la France[2], » Colbert ne tarda pas à fonder la prospérité financière sur l’économie dans l’administration des deniers publics et sur l’ordre dans la comptabilité. Il accroît les revenus, il diminue les dépenses et il parvient, un moment, à rétablir l’équilibre dans le budget, tout en ayant à pourvoir aux frais des plus grandes guerres et aux dépenses fastueuses du roi.

Mais, après lui, la faiblesse et l’inexpérience de ses successeurs se trouvent aux prises avec les plus périlleuses difficultés : il faut subvenir aux charges énormes de deux grandes guerres soutenues contre toute l’Europe, avec un revenu public amoindri, dont les sources mêmes sont taries par la misère de tous. Alors l’abus du crédit, l’emploi d’expédiens ruineux, la constante variation des monnaies, l’émission et le renouvellement d’un papier de circulation déprécié et avili créent à la mort de Louis XIV (1er septembre 1715) une situation qui semble un moment entraîner la banqueroute générale de l’état, et qui ne se liquide que par des banqueroutes partielles. Par l’ensemble des circonstances économiques et morales qu’elle présente, cette situation prépare et facilite l’entreprise, ou plutôt l’aventure, de banque, de commerce, d’industrie qui éclate au commencement du règne de Louis XV, qui compromet la fortune publique et bouleverse les fortunes privées par la perturbation la plus extraordinaire qui soit jamais résultée des actes d’un gouvernement régulier, et que, par un euphémisme qui s’explique plus qu’il ne se justifie, on a appelé le système de Law.

Ce sont ces crises financières et économiques de la fin du XVIIe siècle et du commencement du XVIIIe que nous voudrions retracer rapidement.


LES PREMIERS EXPÊDIENS FINANCIERS APRÈS LA MORT DE COLBERT.

L’état n’était pas endetté, en 1683, à la mort de Colbert, qui, deux fois, dans l’espace de vingt-deux ans, avait relevé d’une manière inespérée la fortune de la France. Nommé contrôleur-général pour rétablir l’ordre dans les finances, il y était promptement parvenu : quelquefois, il est vrai, par des procédés dont on

  1. Mémoires de Louis XIV, tome II, page 389.
  2. Guizot, Histoire de France, tome IV, page 360.