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en signe de repentir, appela sa fille auprès de lui. Des prétendans se présentèrent. Mais l’horreur de la vie avait envahi l’âme d’Odile et l’image de son frère mort pour elle y régnait seule. Elle refusa de se marier. Cette fermeté exaspéra l’âme irritable du Franc. Il résolut de lui faire épouser par force un prince aléman. Instruite par sa mère, Odile s’échappa la nuit dans un costume de mendiante. Elle traversa la plaine, passa le Rhin dans la barque d’un pêcheur et s’enfuit jusqu’aux montagnes. Harassée de fatigue, elle venait d’atteindre une vallée déserte et sauvage de la Forêt-Noire. La nuit tombait, lorsqu’elle entendit derrière elle le galop des chevaux et le cliquetis des armes. Elle comprit que c’était son père qui la poursuivait avec son prétendant et toute une troupe de vassaux. Ramassant le reste de ses forces, elle voulut gravir la montagne pour se cacher. Mais elle tomba épuisée au pied d’un roc. Saisie de désespoir, mais pleine d’une foi vive, elle étendit ses bras vers le ciel en invoquant le protecteur invisible, le roi glorieux des infortunés. Et voici que le dur rocher s’ouvrit tout d’un coup, la reçut dans son sein et se referma sur elle. Atalric, étonné, appela sa fille par son nom en lui promettant la liberté. Alors le rocher s’ouvrit comme une caverne et Odile apparut à la troupe émerveillée dans l’éclat de son innocence et de sa beauté. Toute la grotte rayonnait d’une lumière surnaturelle qui partait de la vierge, et Odile déclara qu’elle se donnait pour toujours à son rédempteur céleste.

À partir de ce jour, le duc d’Alsace fut l’humble serviteur de sa fille. Retiré lui-même au château d’Obernai, il céda à Odile le castel d’Altitona. Elle y fonda un couvent de bénédictines et en devint l’abbesse. Ainsi le sommet de l’altière montagne qui avait servi tour à tour de temple aux Gaulois belliqueux, de position militaire à l’empereur Maximien, et de résidence à un Franc ripuaire, devint enfin l’asile de l’ascétisme chrétien. Odile en donna l’exemple. Elle ne mangeait que du pain d’orge, couchait sur une peau d’ours, et mettait une pierre sous sa tête en guise de coussin. Mais elle avait l’âme trop aimante pour se contenter des joies de la vie contemplative, de ces voluptés exquises où le mystique trouve la compensation de ses tortures corporelles. Ses propres souffrances l’avaient rendue voyante dans le sens le plus profond du mot. Elle comprenait maintenant la souffrance des autres. Elle avait perdu un frère bien-aimé, premier rêve de son cœur, mais tous ceux qui souffrent étaient devenus ses frères et ses sœurs. Son ardente charité ne s’étendait pas seulement sur ses compagnes, mais encore sur tous les gens de la contrée. Elle fonda un hôpital dans le vallon qui s’ouvre au pied du couvent, afin que les malades pussent jouir du bon air et fussent plus près d’elle. Tous les jours, Odile, en robe de laine blanche, descendait d’Altitona au bas moustier, à travers les colon-