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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/808

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REVUE DES DEUX MONDES.

destinées du sentiment chevaleresque. La grande révolution qui s’accomplit dans la conception de l’amour par la chevalerie n’a trouvé qu’une expression imparfaite et rapetissée dans la littérature. La chevalerie a imaginé le culte de la passion uni aux raffinemens mystiques le l’âme et de la pensée ; elle a cru à la vertu s’engendrant dans le cœur par l’enthousiasme de la beauté ; elle a rêvé la femme capable d’inspirer volontairement un tel amour. La légende de Richardis nous montre ce sentiment dans sa chasteté et son intensité primitives. Mais l’arbre a fleuri trop vite sans produire son fruit. Le moyen âge a conçu un idéal qu’il n’a pas su rendre poétiquement. Le type du chevalier primitif s’est affadi dans les mièvreries des troubadours, dans les longueurs assommantes des trouvères, pour tomber sous la risée des fabliaux. La chevalerie est morte, mais le sentiment chevaleresque a survécu, il a pénétré dans la conscience moderne. À mesure que la femme s’ennoblira, il renaîtra sous des formes inattendues. Le plus beau rôle est réservé à la femme dans la société. Ridicule et déplaisante lorsqu’elle singe le sexe masculin et se départ du charme discret qui, dès les temps de la Grèce, faisait son plus bel attribut, elle se grandira au rôle d’inspiratrice lorsqu’elle sera fidèle à ses qualités supérieures. À cet égard, il nous est permis d’espérer pour l’avenir en songeant à notre passé. La France a produit trois femmes comme Héloïse, Jeanne d’Arc et Mme Roland, héroïnes de l’amour, de la patrie et de la liberté. Qu’il en renaisse de pareilles, et, malgré le scepticisme de notre temps, les chevaliers ne leur manqueront pas. Qu’il nous soit permis, en attendant, de rendre hommage à Richardis, la noble reine des Francs, qui, debout là-bas sur sa fontaine, semble songer dans son exil « au doux pays de France. »

IV.

De la tour d’Andlau, où nous sommes placés, regardez cette pointe verticale qui raie au loin la plaine du Rhin. C’est la flèche de Strasbourg. La vieille cathédrale nous appelle, car elle aussi a sa légende étroitement liée à l’histoire de l’ancienne ville libre du moyen âge.

Peut-être faut-il avoir grandi à l’ombre du colossal édifice pour se rendre compte de l’énorme morceau de passé qu’il contient et qui s’est pétrifié dans sa masse. Il faut avoir vu des générations innombrables de pigeons nicher sur l’épaule des vierges sages et des vierges folles, sous les voussures des portails ; il faut s’être extasié, enfant encore, devant l’horloge merveilleuse de Schwilgué,