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écoutait curieusement ce grand bruit des idées qui s’agitaient en France. Goethe vieillissant, mais tenant toujours son génie en éveil, recueillait les échos qui arrivaient à Weimar du Museum, de l’institut et de la Sorbonne.

Depuis ce temps, dans toutes les directions de l’histoire philosophique, d’immenses travaux ont été faits, de grands progrès ont été accomplis en Allemagne et en France avec une érudition plus profonde et plus sûre. Mais si l’on a pu contester à M. Cousin la nouveauté de son œuvre dogmatique, ce que la violence des plus injustes réactions n’a pu et ne pourra jamais lui ravir, c’est l’honneur d’avoir le premier, de ce côté du Rhin, appliqué la critique historique aux origines et aux grandes manifestations de la pensée humaine, d’en avoir exploré les sources principales, expliqué et suivi les évolutions diverses, d’avoir enfin provoqué autour de lui des recherches dans tous les sens, des découvertes, des travaux dont quelques-uns sont devenus à leur tour des modèles. Il excitait les autres et s’excitait lui-même sans fatigue et sans trêve dans cette voie.

De là cet édifice perpétuellement accru de son œuvre historique se produisant non-seulement dans une série régulière de leçons, mais dans un grand nombre de monographies, d’introductions, d’argumens, des fragmens sur tous les grands sujets de l’histoire de l’esprit humain, dans la traduction devenue classique de Platon, dans les éditions savantes de Proclus, d’Abélard, de Descartes, de Maine de Biran, dans des morceaux qui sont de purs chefs-d’œuvre, comme la notice sur Xénophane et le récit du voyage en Allemagne. Autour de lui et sous sa vive impulsion, des esprits distingués renouvelaient certaines parties de la science : Aristote, Platon, les stoïciens, l’école d’Alexandrie, Spinoza, Kant, étaient soumis à des études régulières et de plus en plus approfondies. La rigueur croissante de l’analyse et de la critique s’étendait chaque jour sur de plus vastes régions de l’antiquité, du moyen âge, des temps modernes. Dans le même temps, en dehors de la direction de M. Cousin, mais concourant à son œuvre, de savantes recherches sur les langues, les civilisations, les philosophies religieuses de l’Égypte, de l’Inde et de l’Orient, depuis Colebrooke jusqu’à Abel Rémusat et Eugène Burnouf, depuis Champollion jusqu’à Letronne, depuis Lepsius jusqu’à Mariette, toutes ces découvertes ouvraient la voie aux investigations philosophiques ; des mondes tout nouveaux apparaissaient dans un passé qu’on croyait presque fabuleux, et s’ouvraient de toutes parts à l’appel de la philologie, de l’archéologie, de l’ethnologie comparées, devant la science allemande et devant la science française devenue sur certains points sa rivale, sur d’autres