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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/837

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Un irrésistible attrait précipitait les esprits vers les résultats généraux des diverses sciences, vers les grandes hypothèses qui naissaient de toutes parts. Rien ne pouvait plus modifier ou faire refluer ce courant. C’était un travail de synthèse nouvelle qui s’imposait aux anciens dogmatismes; ils étaient tenus de se renouveler sous peine de perdre toute leur action sur les esprits. Il résulta de ce mouvement un classement nouveau des écoles et des hommes. Le dogmatisme de M. Cousin était trop vague pour offrir un terrain solide de conciliation. Plusieurs d’entre nous remontèrent jusqu’à la psychologie profonde de Maine de Biran pour y chercher un point d’appui inébranlable. Quelques-uns se pénétraient de l’excellente méthode de Jouffroy et tentaient de l’appliquer, avec plus ou moins de chances de succès, à la situation nouvelle de la philosophie; un grand nombre allaient droit au dynamisme de Leibniz et essayaient d’en tirer les principes du spiritualisme renouvelé. D’autres enfin, à leurs risques et périls, cherchaient à se faire une méthode et une doctrine personnelles, cherchant un refuge dans une sorte d’idéalisme esthétique, à une hauteur d’où ils dominaient la nature et lui imposaient l’harmonie souveraine et la beauté de leurs conceptions. — Et tout à côté de ces tentatives transcendantes, s’annonçait déjà par quelques essais cette psychologie expérimentale ou même physiologique qui devait prendre plus tard un si grand développement.

Tel était l’état de dispersion intellectuelle des esprits il y a une vingtaine d’années. A cette époque, chacun cherchait librement sa voie, et des sectes diverses apparaissaient de toutes parts dans l’ancienne école spiritualiste, profondément divisée. Qu’il y eût des inconvéniens dans une pareille situation, cela n’est pas douteux; mais comment les empêcher de se produire? Ils subsistent d’ailleurs, ils vont même en s’aggravant, à l’heure qu’il est, où il n’est pas rare de voir, dans certains établissemens (même d’enseignement secondaire), des chaires voisines consacrées à des doctrines contradictoires. Mais, à ce nouvel état de choses, l’enseignement supérieur a gagné le droit de répondre victorieusement à un reproche qui lui était souvent adressé autrefois et qui n’aurait plus de raison d’être aujourd’hui. On accusait la philosophie enseignée dans les chaires de l’état d’être une philosophie officielle; c’était le grief favori, en apparence légitime, de certains adversaires, dans le temps où la philosophie était gouvernée ou avait l’air de l’être. Cette accusation n’a plus de motifs, et si on la renouvelle encore, c’est sans conviction, et pour n’en pas perdre l’habitude. D’ailleurs, aujourd’hui, la concurrence des doctrines existe; sous certaines conditions, très faciles à remplir, toute idée peut arriver à la parole et même à l’enseignement public, et, de fait, dans ces derniers temps,