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femmes. Voilà ce que c’est que d’avoir mis l’honneur d’une partie dont il ne devait point être.


N’était le dernier mot, — non pas plus léger, comme on verra, — mais plus impertinent peut-être, et peut-être aussi de plus de portée qu’il n’appartient à Marivaux, cette page à la fois très précieuse et très spirituelle pourrait certainement être signée de lui. Voilà bien jusqu’à ces tics de style, « cet honneur-, ces raisons-, » que l’on n’a pu croire particuliers à Marivaux que faute d’avoir assez lu Fontenelle. Voilà bien cette façon de jouer sur les mots dont on trouverait dans Marianne et dans le Paysan de si nombreux exemples : « Pour parvenir à être honoré, je saurai bien cesser d’être honorable, et, en effet, c’est assez le chemin des honneurs. » Voilà bien cette finesse très réelle et cette vérité d’observation mondaine qui ne laissent pas quelquefois de s’insinuer dans la prose des précieux, parce qu’après tout les mots ne sauraient cesser de représenter des idées, et que, de l’alliance nouvelle que l’on en fait il ne se peut pas qu’il ne sorte parfois une idée nouvelle. On pourrait ainsi chercher et retrouver Marivaux comme dispersé chez la plupart de ses contemporains. Que de façons de dire que La Motte lui eût enviées ! « Madame, mon amitié pour vous a commencé sur le Pont-Neuf; de là jusqu’à votre maison elle a pris vigueur et croissance ; sa perfection est venue chez vous, et deux heures après il n’y avait plus rien à y mettre ; en voilà le récit bien véritable. » que de pointes qui ne sont guère plus savamment amenées par Massillon : « Il y eut un sermon qui fut fort beau ; je ne dis pas bon : ce fut avec la vanité de prêcher élégamment qu’on nous prêcha la vanité des choses de ce monde, et c’est là le vice de nombre de prédicateurs : c’est bien moins pour notre instruction que pour leur orgueil qu’ils prêchent ; de sorte que c’est presque toujours le péché qui prêche la vertu dans nos chaires. »

Bien loin donc de lui être aussi particulier que l’on croit et qu’il se figurait volontiers lui-même, le style de Marivaux est le style des coteries dont il est. Marivaux écrit comme il entend parler autour de lui, dans la société de Fontenelle, dans le salon de Mme de Lambert; et l’on y parle comme on parlait au commencement du XVIIe siècle dans le salon, ou plutôt dans l’alcôve, de la marquise de Rambouillet. Molière et Boileau disparus, les beaux esprits ont recouvré l’empire dont le bon sens et le génie les avaient un temps dépossédés. La marquise de Lambert, au palais Mazarin, locataire, voisine et amie du duc de Nevers, le protecteur déclaré de Pradon contre Racine, amie plus intime encore du marquis de Sainte-Aulaire, l’ennemi particulier de Boileau, goûtant elle-même très médiocrement Molière, et, qui sait ? trouvant peut-être les Fables de La