Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/860

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont pas vu qu’il y avait autre chose dans la préciosité qu’une révolution du langage. Au commencement du XVIIe siècle, la société de l’hôtel de Rambouillet s’était formée comme d’un esprit d’opposition contre la grossièreté des mœurs environnantes. Précieux et précieuses avaient tenu vraiment, pendant un demi-siècle, il faut bien le savoir, école de morale autant que de bel esprit, morale mondaine, si l’on veut, et très mondaine, qui retardait, qui ne supprimait point,


Les bas amusemens de ces sortes d’affaires ;


morale cependant, s’il importe beaucoup de savoir que tout ce qui se pense ou se fait ne doit pas se dire, et que tout ce qui se dit ne peut pas s’écrire. Or cette même grossièreté du discours et des manières, on la vit reparaître dans les dernières années du règne de Louis XIV. « On parle d’une région, écrivait La Bruyère en 1688, où les vieillards sont galans, polis et civils, les jeunes gens au contraire durs, féroces, sans mœurs ni politesse. Ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir, ils leur préfèrent des repas, des viandes et des amours ridicules. » C’est à quelques années de là que Mme de Lambert, jeune encore, veuve, et riche, ouvrait son salon comme un lieu de refuge et d’asile à cette civilité, cette galanterie, cette politesse enfin qui s’en allaient. Ne nous étonnons donc pas si Le Sage, si Boileau, si Molière n’ont remporté sur les précieuses qu’une demi-victoire. Le génie lui-même ne vient pas à bout de ce qui a sa raison d’être; et les précieuses avaient la leur: et elle était morale autant que littéraire. Ne nous étonnons pas non plus si les œuvres sorties, pour ainsi dire, de l’inspiration plus ou moins prochaine de Mme de Lambert offrent des traits frappans de ressemblance avec celles qu’avait autrefois dictées l’influence de Mme de Rambouillet, puisque l’influence de l’une et l’inspiration de l’autre s’efforçaient de diriger la littérature et les mœurs vers un même idéal social. Mais, après avoir noté la ressemblance, attachons-nous plutôt aux différences. A cinquante ou soixante ans d’intervalle, et dans un siècle comme le XVIIe, on se doute bien qu’elles sont considérables; je n’indiquerai que celles dont je crois voir la trace profondément marquée dans les romans de Marivaux.

Si l’on peut dire avec vérité que la littérature, confinée jusqu’alors entre pédans et savantasses, avait fait son entrée dans le monde par le salon de Mme de Rambouillet; la politique, la science, la philosophie même, y font la leur par le salon de Mme de Lambert. On doit supposer que, parmi les habitués de son salon, la liberté, « le désordre aimable » de la conversation, très diverse, nullement