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croix au-dessus des obélisques de l’Egypte et les statues des apôtres au faite des colonnes des césars.

A se laisser transformer en chef de parti, le successeur de Pierre aurait peut-être, en dépit de ces brillantes perspectives, plus à perdre qu’à gagner. Vaincu ou victorieux, porté au gouvernement ou relégué dans l’opposition, un parti parlementaire franchement catholique et papalin exposerait le saint-siège à des difficultés nouvelles de l’ordre le plus grave, et cela des deux côtés des Alpes. Vis-à-vis de l’étranger, la transformation du pape en chef de parti italien aurait pour conséquence de lier trop intimement l’église à la péninsule, d’italianiser, de nationaliser outre mesure la papauté ; et le danger serait d’autant plus grand que le parti dévoué au Vatican serait plus puissant. Le saint-siège serait, par une autre voie, ramené à l’écueil signalé plus haut, la confusion des intérêts catholiques et des intérêts italiens. Au dedans, vis-à-vis des nationaux, il n’y aurait guère moins d’inconvénient pour l’église à se laisser identifier à un parti, à une politique, à un gouvernement que, au dehors, vis-à-vis de l’étranger, à être identifiée à une nation, à un état. La chaire romaine recommencerait la turbulente existence de l’époque des Colonna et des Orsini, des guelfes et des gibelins ; sa liberté dépendrait plus que jamais des factions de l’intérieur. Quelle lourde charge pour un pontife que la responsabilité de leader parlementaire, que le commandement d’un parti militant, que l’inspiration d’un gouvernement ! Le saint-siège se trouverait directement mis en cause dans les luttes intestines de la péninsule. Confondu avec un parti politique, il en subirait les vicissitudes ; il verrait retomber sur lui les haines et les représailles des partis adverses ; il se laisserait désigner comme cible à tous les traits de la révolution et des ennemis de ses amis.

Les embarras, les périls d’une pareille situation seraient tels que la papauté, et le parti qui lui serait dévoué, n’auraient tous deux bientôt d’autre souci que d’y échapper. La curie romaine en viendrait bien vite à décliner toute compromettante solidarité avec les groupes s’inspirant de sa politique. Ces derniers, de leur côté, éprouveraient tôt ou tard le besoin de manifester leur indépendance vis-à-vis de l’autorité dont ils prétendraient défendre les droits, et ce besoin de paraître indépendans les amènerait à des scissions qui, en Italie, aussi bien qu’au nord des Alpes, sont partout en germe parmi les catholiques. On les verrait fatalement se morceler en fractions, en libéraux et en autoritaires, en modérés et en ultras, en cléricaux purs et en simples conservateurs, lesquels auraient seuls chance d’arriver un jour au gouvernement, mais y seraient compromis et affaiblis par les autres.