Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’italianità moderne. Quel parallèle facile entre les bords du Tibre et ceux de l’Arno, entre la ville symbolisée par la louve d’airain et celle qui, pour arme parlante, porte une fleur, de lis rouge ! Combien l’une est plus gaie et plus saine, plus aisée d’accès et plus facile à défendre ! combien la campagne en est plus fertile et plus peuplée ! comme, au pied de ses gracieux colli, elle semble se mieux prêter à l’expansion d’une capitale digne d’un grand royaume !

Tout cela est vrai, et pourtant, malgré tous ces avantages naturels, malgré les dépenses et les frais de parure qu’elle avait faits pour son nouveau rôle et ses hôtes royaux, Florence, affublée durant son court règne du sobriquet de la tappa (l’étape), a été abandonnée, dès que le chemin de Rome a été libre ; et les raisons qui ont poussé le gouvernement à la quitter, en partie malgré lui, l’empêchent d’y revenir. Plus on lui conteste la légitime possession de Rome, plus le gouvernement unitaire se croit obligé d’y maintenir son siège. La monarchie de Savoie peut regretter d’y être entrée, il lui est malaisé d’en sortir. « Quand le roi désirerait quitter cette demeure incommode et l’encombrant voisinage du pape, serait-il prudent pour la monarchie, demandent les libéraux, de donner comme mot d’ordre à ses ennemis le nom de Rome capitale ? A qui profiterait une pareille désertion, si ce n’est au radicalisme et aux républicains ? Supposez, — hypothèse irréalisable, — le roi Humbert enclin à l’abandon de Rome, ne rencontrerait-il pas, pour lui barrer la sortie, le souvenir et le tombeau de Victor-Emmanuel ? Il lui faudrait, pour ainsi dire, passer par-dessus le corps de son père. Évacuer Rome, où, maigre ses répugnances personnelles, Victor-Emmanuel est venu s’installer et mourir, ne serait-ce pas renier sa mémoire et compromettre son œuvre sous prétexte de la consolider ? Avec la tombe de son fondateur au Panthéon, l’Italie a déjà dans Rome ses reliques et son sanctuaire, qu’elle ne peut déserter ni emporter sans se démentir et se trahir elle-même. »

Ainsi pensent beaucoup de ceux même qui regrettent que le siège du gouvernement ait été porté à Rome. Les catholiques répondent en rappelant que, depuis Constantin, aucun prince temporel ni césar romain, ni roi barbare, ni empereur étranger, ni souverain national n’a pu établir sa demeure dans le voisinage du pape. Ils se flattent que les héritiers des ducs de Savoie ne tiendront pas là où n’ont pas tenu de plus puissans qu’eux. Ils se représentent les modernes rois d’Italie fuyant la « Rome fatale[1] » comme autrefois Constantin ou Théodose, Odoacre ou Théodoric. Ces exemples, répétés durant quinze siècles, cette série de souverains si divers,

  1. Expression de la brochure il Papa e l’Italia.