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la péninsule qu’un pape cloîtré dans le Vatican. Les prétendans sont souvent plus dangereux en exil que sur le territoire national. Au-delà des frontières, ils peuvent devenir un centre d’intrigues pour leurs partisans du dedans, un instrument pour les desseins de l’étranger. Les catholiques d’Italie, comme ceux du monde entier, seraient profondément remués par l’émigration forcée de leur chef. Le clergé italien, aujourd’hui paisible, prudent, patient et, malgré tout, peu enclin à faire la guerre au pouvoir, lui deviendrait ouvertement et activement hostile. L’opposition conservatrice, maintenant assoupie et bornée à l’abstention, aurait contre le régime légal un nouveau grief qui la ferait sortir de sa torpeur. « Le bannissement du pape, me disait un ancien ministre de Victor-Emmanuel, aigrirait et envenimerait nos luttes de partis. Le radicalisme en prendrait un nouvel ascendant ; une politique modérée en deviendrait plus malaisée ; la monarchie, s’étant aliéné une notable partie de la nation, en verrait sa base rétrécie et ébranlée. » D’un autre côté, le pape, expulsé de sa résidence séculaire, aurait plus de chances d’obtenir l’intervention des puissances, inquiètes des influences sous lesquelles pourrait tomber le saint-siège. Aussi peut-on dire que, si le gouvernement italien n’a rien à perdre au départ de la papauté sur une sorte de coup de tête, il courrait au-devant de graves difficultés en donnant ou laissant donner au saint-père des raisons ou des prétextes d’émigration.

Chacun des deux adversaires parait en ce moment trop bien comprendre son intérêt pour que l’Italie réduise le souverain pontife à une telle extrémité, et pour que ce dernier s’y résigne sans y être manifestement contraint. Il semble donc qu’une telle éventualité soit pour longtemps écartée. Cela cependant n’est nullement certain. Il y a d’abord un cas où le saint-père aurait peine à rester dans la Rome italienne, parce que le gouvernement n’y saurait plus répondre de sa sécurité ; c’est une guerre européenne où seraient engagées les armes de l’Italie. Qu’on imagine la péninsule en guerre ouverte avec l’un ou l’autre de ses voisins, le Vatican serait presque immédiatement dénoncé comme un complice de l’ennemi et un foyer d’espionnage. Qu’on se rappelle la surexcitation qu’inspirent à un peuple affolé les obscures nouvelles des opérations, les mensongères rumeurs, les cris de trahison, l’annonce d’une bataille, d’une défaite surtout. Qu’on se représente Rome éveillée au bruit d’un débarquement sur les plages voisines, et l’on comprendra quels périls pourraient courir à certaines heures le palais et la personne même du souverain pontife. Le Vatican serait en pareil cas exposé à une sorte de 10 août dont les hallebardes des suisses du pape sauraient mal le défendre. Les loges de Raphaël risqueraient