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raisons doctrinales qui ont fait supprimer le tiers du cours primitif. À l’époque où cette publication eut lieu, en 1841, il y avait en effet des raisons sérieuses et que nous expliquerons en temps et lieu, qui forçaient M. Cousin à une grande réserve. Cette publication pouvait être mal interprétée à ce moment où commençait précisément la lutte si vive alors de l’université et du clergé. De là la précaution prise de supprimer tout ce qui, à tort ou à raison, pouvait paraître suspect. Ainsi, par une rencontre piquante, dans le temps même où Victor Cousin dénonçait avec tant d’éclat la mutilation de Pascal par ses amis de Port-Royal, il pratiquait sur lui-même et sur les pensées de sa jeunesse une mutilation analogue ; et si « la paix de l’église » avait été pour les éditeurs de Port-Royal la cause des suppressions et altérations qui leur étaient si sévèrement reprochées, cette fois c’était la guerre de l’église qui était la cause d’une opération semblable.

De telles raisons n’existent plus aujourd’hui et nous ne croyons pas manquer, à la discrétion historique en faisant connaître des leçons qui dans leur temps ont été publiques et dont les idées sont restées la propriété de ceux qui les ont entendues et recueillies. Il y a d’ailleurs, à ce qu’il semble, quelque intérêt à faire revivre des paroles qui n’ont.pas vu le jour depuis soixante ans, et qui ne sont pas si mortes qu’elles ne respirent encore le souffle de la vie ou même de la jeunesse : car on y retrouve les deux traits qui caractérisent le mieux la jeunesse : l’ivresse de l’abstraction et l’ivresse de l’enthousiasme. Nous négligerons dans cette analyse les parties du cours déjà publiées pour nous borner aux, documens nouveaux et aux plus significatifs.

Nous avons déjà signalé dans le cours de 1818 le principe de l’unité de substance. Toutes les idées de la raison ramenées à la substance et à la cause, et ces deux idées réduites elles-mêmes à celles de l’infini et du fini, de l’absolu et du relatif ; Dieu présent dans toute la nature et se manifestant surtout dans la science, dans l’art et dans la vertu, c’était bien là, à n’en pas douter, un ensemble de doctrines fortement empreintes de l’esprit panthéistique. Cependant le principe de l’unité de substance paraissait encore alors sous une forme indistincte et voilée, et en quelque sorte inconsciente. Dans nos leçons inédites, au contraire, nous allons voir reparaître ce principe sous sa forme la plus énergique et la plus précise. Seulement, par scrupule de méthode, et toujours fidèle à l’esprit psychologique de Royer-Collard, le jeune philosophe ajournait cette doctrine plutôt qu’il ne l’enseignait. Il la glissait sous forme de prétermission et simplement à titre d’hypothèse. Mais il était facile de voir que cette hypothèse était le fond même de sa pensée.