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années précédentes imposaient au trésor. Après cinq ans d’efforts désespérés, Pontchartrain fut obligé de reconnaître qu’il fallait ajouter au produit des emprunts et des affaires extraordinaires celui d’un impôt ; mais ce ne fut pas sans réflexion et sans une sérieuse étude préparatoire qu’il s’y décida.

Dès le mois d’août 1694, il consulta secrètement sur l’établissement d’une capitation les intendans et les principaux personnages des pays d’états, « si défians de toute nouveauté[1] ; » et le premier président du parlement de Bretagne s’empressa de répondre : « Il se trouve ici, non pas en grand nombre à la vérité, d’assez honnêtes gens pour être prêts de subir une capitation et qui la regardent comme utile et nécessaire à l’état,.. mais c’est un cas délicat. » Une circulaire générale fut adressée, le 31 octobre, aux intendans pour leur faire connaître les vues du gouvernement. Elle leur annonce « qu’on a proposé au roi de faire une capitation générale sur tous ses sujets, » et elle les invite, après avoir examiné cette forme nouvelle de contribution, à mander ce qu’ils en pensent et ce qu’elle pourra produire dans leur département. Nul n’en sera exempt, excepté les pauvres et les ecclésiastiques, que, quant à présent, le roi ne juge pas à propos d’y assujettir ; elle comprendrait donc les nobles qui, dans les pays de taille personnelle, peuvent prétendre n’être pas imposables. « Généralement elle ne serait à charge à personne ; » son produit, s’il était aussi considérable qu’on l’espère, pourrait faire cesser dans la suite beaucoup d’autres affaires extraordinaires ; son recouvrement, au lieu de profiter aux traitans, « qui font une infinité de frais et de vexations, » s’opérerait sans frais par le moyen des receveurs généraux. Plusieurs intendans se montrèrent favorables au projet. À Lyon, « il est envisagé d’assez bon œil, et la capitation, attendue comme un moyen de voir cesser toutes les affaires extraordinaires, loin de faire peur, fait plaisir. » En Languedoc, l’intendant détermine les états à faire des offres pour racheter toutes les affaires extraordinaires, afin que, la province étant libre, la capitation y soit reçue plus agréablement[2]. »

Le maréchal de Vauban fut consulté : invité à présenter un projet, il s’empressa de produire les idées générales qu’il devait, quelques années plus tard, consigner dans sa célèbre Dîme royale.

  1. Note de M. de Boislisle. — Mémoires de Saint-Simon, t. II, app. IV.
  2. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 1365, 1387, 1395, 1397. Au commencement de novembre, les intentions du gouvernement étaient connues ; elles sont mentionnées dans le Journal de Dangeau et dans la Gazette d’Amsterdam. Suivant cette feuille, il est bon de le remarquer, on avait même pensé à prendre le dixième de tous les revenus, mais on avait reculé devant l’idée de pénétrer dans toutes les fortunes et dans le secret des familles.