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Claude, défrayé l’imagination des historiens. Sauf la courte notice dans laquelle M. Meaume, le premier, rectifiait, sur bien des points, sa biographie, et l’excellente préface placée par M. Duplessis en tête des reproductions de ses eaux-fortes, cette vie de Claude avait donné lieu aux versions les plus contradictoires et aux fables les plus grossières. Les sources d’information cependant ne manquaient pas, et deux écrivains surtout, Sandrart et Baldinucci, nous avaient laissé sur le Lorrain des indications assez détaillées. Il est vrai que Baldinucci n’est pas étranger aux légendes qui, surtout à propos de la jeunesse du maître, ont trouvé pendant longtemps si facile créance. C’est qu’il tenait ses renseignemens de l’un des neveux du peintre, un étudiant en théologie qui, admis dans la société romaine, croyait sans doute peu séant de confesser l’humble naissance et les modestes commencemens de son oncle. Mais Sandrart est plus digne de confiance, ou plutôt, sur cette époque des débuts du Lorrain, Mme Pattison a nettement établi la sûreté de ses témoignages. La véracité du biographe, que garantissait déjà son étroite et longue intimité avec le maître, nous est d’ailleurs confirmée aujourd’hui par le testament de Claude, dont nous devons aussi la publication à Mme Pattison. A tous ces divers points éclaircis par elle il convient d’ajouter le contrôle souvent nécessaire de plusieurs dates ou d’assertions jusqu’ici acceptées, une étude approfondie du Livre de vérité, et enfin une foule d’informations nouvelles sur divers personnages qui ont été les patrons de l’artiste. En profitant largement des recherches de Mme Pattison, nous voudrions essayer à notre tour de raconter la vie de Claude et d’apprécier l’originalité de son talent, afin de marquer de notre mieux la place qu’il nous paraît occuper dans l’histoire de la peinture de paysage.


I

Ce surnom de Lorrain, qu’il aimait à prendre lui-même et qu’il honora par son talent comme par son caractère, Claude Gellée, on le sait, le doit au lieu de sa naissance. Né en 1600 dans le petit village de Chamagne, situé au bord de la Moselle, il était le troisième des cinq fils issus du mariage de Jean Gellée et d’Anne Padose. La condition de sa famille était des plus humbles, et le peu de dispositions que l’enfant montrait pour l’étude n’était pas de nature à faire présager sa glorieuse destinée. Envoyé de bonne heure à l’école, il ne profita guère des années qu’il y passa. D’après les quelques lignes qu’on a conservées de son écriture, on peut affirmer que l’orthographe ne fut jamais son fort. Quand, vers la fin de sa vie, désirant mettre ordre à ses affaires et disposer en faveur des siens de l’honnête aisance qu’il s’était acquise par son talent, Claude