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quelques-unes de ces compositions ne sont que des pastiches de celles du maître que non-seulement il imitait dans ses œuvres, mais dont il cherchait aussi à calquer la vie. A l’exemple du Livre de vérité, il avait dans son Liber studiorum réuni ses propres esquisses, et sans songer à ce qu’un pareil voisinage aurait de dangereux, il eut l’imprudence de demander qu’après sa mort deux des paysages légués par lui à la nation fussent placés à côté de deux paysages de Claude. La satisfaction de ce désir et l’indiscrète profusion des toiles de Turner qui remplissent deux des salles- de la National Gallery ont bien mal servi la réputation du peintre. En présence des aberrations auxquelles ce talent inégal et mal équilibré s’est laissé entraîner, on regrette de voir confondues dans une telle promiscuité les œuvres trop peu nombreuses dans lesquelles il a su rendre avec une originalité poétique le mirage changeant de ces brouillards britanniques qu’un pâle soleil essaie vainement de traverser.

Enfin, de notre temps même, il était réservé à un artiste français de nous montrer, — avec des analogies et des différences également frappantes, — réunies en lui quelques-unes des meilleures qualités de Claude. Sans qu’il soit besoin de s’étendre à ce sujet, n’est-il pas évident qu’aux enseignemens de cette nature italienne qui devait exercer sur le développement de Corot une action si décisive, les vives et pures impressions qu’en a retracées Claude se sont associées et confondues dans son esprit ? Pour nous en tenir aux ressemblances, n’est-ce pas chez les deux peintres la même humeur aimable et sereine, le même besoin de clarté, la même délicatesse dans les harmonies, et souvent avec des dispositions pareilles dans les masses, une gaucherie à peu près égale dans les personnages ? Sans doute, la naïveté de Corot est moins entière. Elle est plus accommodée au sens moderne ; sa facture moins suivie est aussi plus subtile, son goût plus fin, plus délié, et ce voile argentin dans lequel il brouille et noie tous ses contours lui prête, à meilleur compte, un charme mystérieux qui ne résisterait peut-être pas à des formes moins flottantes et à des indications mieux définies. Mais, sous peine d’injustice, ne convient-il pas de reporter quelque chose de l’admiration qu’il nous inspire à ce Claude auquel il doit tant et qui, par bien des côtés, lui reste supérieur ? On oublie un peu trop aujourd’hui le solide mérite des œuvres du Lorrain et peut-être n’était-il pas inutile de rappeler que ce génie si modeste a été un créateur et qu’aussi épris des beautés de la nature que de la perfection de son art, il a su le premier nous révéler dans le paysage la poésie de la lumière.


EMILE MICHEL.