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— C’est un Yoloff, répondit le géreur, encouragé. Voyez ce nez droit et fin. D’ailleurs il est candio, il est prince. Si je le fouette, il mourra.

Le maître impassible et le captif indompté restèrent quelque temps à s’entre-regarder dans le blanc des yeux, chacun d’eux reconnaissant dans l’autre son égal en courage. Si Bras-Coupé avait bronché si peu que ce fût, il aurait eu les coups de fouet.

— Faites venir un interprète, dit don José ; il faut que nous arrivions à nous entendre.

Mais où trouver l’interprète en question, quelqu’un qui fût capable non pas seulement d’interpréter en créole la pensée d’un Yoloff, mais encore d’un peu de diplomatie ?

On eut recours à Agricola Fusilier, qui avait en lui apparemment tout ce qu’il fallait pour amener le diable lui-même à la raison.

— Moi, Agricola Fusilier, condescendre à être l’interprète d’un nègre ? .. — Mais il se ravisa et reprit : — Si je ne vous aidais, qui donc en serait capable ? .. Vous pouvez amener Palmyre, elle sait autant de dialectes nègres que je sais, moi, de langues européennes.

Palmyre était la femme de chambre favorite de sa nièce, Mlle Grandissime, — une superbe quarteronne, grande et svelte, aux yeux noirs pleins de flammes. Son front intelligent, d’un jaune pâle couronné de cheveux de jais, ses sourcils lourdement arqués, la faible rougeur qui animait facilement l’ambre clair de son teint, l’éclat des lèvres empourprées, la rondeur de son cou d’une forme parfaite, tout cela lui prêtait une sorte de beauté magnétique comparable à l’éclair qui jaillit d’une lame incrustée de pierreries que l’on dégaine à l’improviste. Les charmes de sa personne enveloppaient un esprit délié, adroit, une ruse merveilleuse, une grande force de volonté, enfin, ce qui est le plus rare des dons chez les femmes de couleur, une réelle pureté de mœurs. Peut-être était-elle gardée par la passion silencieuse et tenace que lui inspirait le frère absent de sa jeune maîtresse.

Elle partit pour la plantation, suivie des vœux les moins bienveillant d’Agricola, qui eût donné beaucoup pour qu’elle n’en revînt pas, car il la haïssait à cause de son orgueil et de l’amour qu’elle osait avoir pour Honoré. Palmyre, de son côté, lui rendait ses sentimens avec usure, mais elle se disait : « Quand mademoiselle sera señora, il sera bon que j’aie l’estime de señor. Je tiens donc à la gagner dès aujourd’hui. »

Ce fut là le mobile qui décida d’une toilette resplendissante, toute d’écarlate et de bijoux, que sa maîtresse l’aida gaîment à revêtir en assurant qu’elle ne pourrait manquer de conquérir ainsi