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donne droit. La loi sera frustrée, elle sera vaincue, cette loi stupide, lâche et sans entrailles. Mme Delphine déclarera publiquement, et à force de ruse elle saura prouver qu’Olive, bien que la pauvre fille ne s’en soit jamais doutée, ne lui est rien, qu’elle sort d’un mariage secret contracté par son amant à l’étranger. On la lui a amenée toute petite, elle l’a tendrement adoptée, voilà tout… Un portrait auquel la jeune quarteronne ressemble d’une façon saisissante, et qui est celui d’une sœur de son père défunt, sert de complice à Mme Delphine. D’ailleurs, celle-ci ne recule pas devant le serment ; elle jurera tout ce qu’on voudra, devant qui l’on voudra. Et sa fille est assez blanche, assez belle, douée d’une âme assez noble pour qu’on la croie. C’est un trait d’observation perçante de la part de Cable d’avoir entaché de mensonge le sacrifice sublime de cette mère, d’avoir donné pour base à un acte de vertu le vice indélébile de la race condamnée. Mme Delphine a ourdi avec une habileté singulière et tendu hardiment le piège où se prennent ceux qui, la veille encore, la dominaient de toute la force de leur intelligence, de toute la hauteur de leur situation sociale ; mais, cet effort accompli, sa fille mariée, heureuse, à l’abri pour toujours, elle ne peut survivre au déchirement qu’elle a voulu. La cérémonie nuptiale terminée, elle se glisse défaillante au confessionnal. Le père Jérôme reconnaît la petite voix, bien altérée pourtant, qui murmure dans son doux accent créole : Bénissez-moin, mo père, pa’ ce que mo péché.

Le péché de Mme Delphine est d’avoir trompé tout le monde et violé la loi par excès d’amour maternel. Tandis que le prêtre, qui sait combien souvent la société tout entière est responsable des mauvaises actions de chacun, lui donne l’absolution, la quarteronne, à genoux, s’affaisse, le front sur ses mains jointes. Ce pauvre cœur, dévoué jusqu’à la mort, s’est brisé.

Il est difficile de pousser l’émotion plus loin que dans ce récit rapide et serré. Les esquisses de Cable sont certainement supérieures encore à ses ouvrages de longue haleine qui, comme les Grandissime, ne forment guère, dans leur diffusion qu’une mosaïque de morceaux rajustés. Une des ressemblances de l’auteur de Madame Delphine avec l’auteur de Miggles, c’est qu’il ignore ou dédaigne l’art des développemens et ne réussit à nous donner que l’impression d’une série de tableaux saisissans, mais décousus. N’est-ce pas d’ailleurs un art plus rare et plus difficile encore qui lui fait condenser en quelques pages des trésors de sentiment et d’esprit ? Cette habileté particulière se manifeste, à différens degrés, dans les sept nouvelles qui composent le recueil intitulé Old Creole Days. Nous en avons traduit une à l’intention des lecteurs de la Revue : la touchante