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imbroglio assez singulier où le jeune roi Alphonse XII aura peut-être quelque peine à se reconnaître.

A travers tout, ce qu’il y a d’assez évident, c’est que l’Espagne passe à l’heure qu’il est par une crise des plus sérieuses où tout est pour ainsi dire en question, puisqu’il s’agit d’une révision de la constitution, d’une réforme radicale des conditions de l’électorat, d’une réorganisation à peu près complète de l’armée, entreprise par le ministre de la guerre, le général Lopez Dominguez. Quel que soit le vote prochain des cortès, il ne peut manquer d’avoir un caractère et des conséquences graves pour la paix intérieure, pour l’avenir de l’Espagne. Si le ministère obtient la majorité dans le congrès ou si, vaincu au scrutin des cortès, il obtient du roi la dissolution, c’est l’expérience démocratique qui continue, et cette expérience peut n’être pas sans péril. Il se peut sans doute qu’à un moment donné, il y ait eu quelque avantage à rattacher par une politique plus large le parti démocratique à la monarchie. Le roi Alphonse l’a cru, et il s’est délibérément engagé dans cette voie. Après le ministère de M. Canovas del Castillo, il a appelé M. Sagasta ; qui était alors le chef de l’opposition libérale modérée. Après M. Sagasta, il est allé, il y a trois mois, jusqu’à la gauche dynastique, représentée par le général Lopez Dominguez et par M. Moret bien plus que par M. Posada Herrera. Il s’est prêté à tout ce que lui a demandé son ministère, à la réforme démocratique de la constitution et au suffrage universel. Soit ; il faudrait seulement prendre garde de ne pas aller plus loin sans savoir où l’on irait et de ne pas recommencer l’histoire de la constitution démocratique de 1869, qui établissait la monarchie en lui créant des conditions impossibles. C’est là, au fond, toute la question aujourd’hui, et, dans ce passé si récent encore de la monarchie démocratique d’Amédée, il y a peut-être de quoi donner à réfléchir au roi Alphonse. Si le ministère de M. Posada Herrera, vaincu dans les chambres, n’obtient pas du roi la dissolution, il est condamné, il se retirera immédiatement, cela n’est pas douteux. Par qui sera-t-il alors remplacé ? M. Sagasta reste le chef de la majorité victorieuse ; mais, s’il est appelé au pouvoir, il aura aussitôt contre lui et les amis du ministère tombé et les conservateurs eux-mêmes, qui lui ont d’avance déclaré la guerre. Les conservateurs attendent visiblement qu’il soit démontré que toutes ces expériences mettent le pays en péril et que seuls ils peuvent relever les affaires de l’Espagne et de la monarchie constitutionnelle qu’ils ont contribué à rétablir. Qu’en sera-t-il de tout cela ? La lutte est engagée dans des conditions qui ne laissent pas d’être périlleuses, et le vote des cortès peut avoir une influence décisive sur cette nouvelle crise espagnole.


CH. DE MAZADE.