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pur une bien vive sympathie, nous serions injustes si nous méconnaissions ! de quel trésor sans prix la société moderne lui demeure redevable. De Rome nous est venue la science la plus indispensable, celle qui maintient les hommes dans le respect mutuel de leurs biens et de leurs droits, les empêchant ainsi de retourner par une pente insensible à l’anthropophagie : je veux parler de la science du gouvernement. Il est dans la destinée de la race humaine de ne pouvoir se promettre, fût-ce aux époques les plus favorisées par la Providence, que de courts intervalles d’une existence tranquille ; néanmoins, quand les Goths firent trembler l’empire romain sur sa base, deux cent quarante-six ans s’étaient déjà écoulés depuis la mort d’Auguste, cinq années de plus que nous n’en comptons entre notre époque et l’avènement de Louis XIV au trône ; de bons et de mauvais princes avaient exercé le pouvoir ; la confiance du monde dans les fortes institutions qui lui garantissaient, avec la paix sociale, l’exacte administration de la justice, était telle encore que l’inondation des barbares éveillait à peine dans l’empire ravagé quelques doutes sur l’éternité d’une puissance si nécessaire à la conduite de l’humanité.

Quand le grand évêque de Meaux entretenait le jeune dauphin de France « de la folie cruelle et brutale » de Caligula, « de la stupidité de Claude, » du règne de Néron, « le persécuteur du genre humain ; » quand il montrait à cet enfant destiné au trône Galba, Othon et Vitellius périssant successivement dans l’espace de moins d’une année, semblables à ces buveurs que terrassent l’un après l’autre les vapeurs de l’orgie ; quand il lui parlait, « de la courte joie » apportée à l’empire par Vespasien. et par son fils Titus, quand il faisait revivre Néron dans la personne de Domitien et, ne laissait « respirer de nouveau le monde » que sous Nerva, sous Trajan, sous Adrien lui-même, bien que le règne d’Adrien ait été « mêlé de bien et de mal ; » quand il dépeignait Antonio le Pieux, « toujours en paix, mais toujours prêt, dans le besoin, à faire la guerre, » Marc Aurèle, en revanche, « toujours en guerre, et toujours prêt à donner la paix à ses ennemis et à l’empire, » Lucius Verus, « endormi dans la mollesse, » Commode démentant « par ses brutalités » le sang glorieux d’où il était sorti, Pertinax. immolé à la fureur de soldats licencieux, l’empire mis à l’encan et trouvant dans le jurisconsulte Didius Julianus un acheteur, Sévère l’Africain triomphant en Syrie, en Gaule et dans la Grande-Bretagne, Caracalla marchant à une mort tragique par un chemin tout semé de carnage, le Syrien Héliogabale étonnant l’univers « par ses infamies, » Alexandre Sévère « vivant trop peu pour le bien du monde, » le tyran Maximin, issu de race gothique, osant porter la main sur le sceptre des Césars, les deux Gordiens et l’Arabe