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degré sont reçues sans hésitation ; on les prend avec l’espoir de les guérir, et dans bien des cas, on les guérit. Sous ce rapport, le traitement prescrit par le docteur Lefebvre (d’Aunay-lès-Bondy), médecin de l’asile, et les soins des religieuses ont produit des résultats qu’il m’a été facile de constater sur les registres de l’œuvre. Du 1er janvier au 31 décembre 1883, 229 malades sont entrées dans la maison ; sur ce nombre, 74 (premier degré), sont sorties guéries ; 59 (second degré), ont éprouvé une amélioration assez sérieuse pour faire espérer que l’existence sera prolongée de plusieurs années ; 23 (troisième degré), sont mortes ; au 1er janvier 1884, l’asile contenait 73 poitrinaires. Ces chiffres ont de l’importance et semblent prouver que le malade atteint de tuberculose pulmonaire, transporté, dès le début, dans un milieu sain, fortifié par une alimentation réparatrice, soigné avec vigilance et selon des prescriptions intelligentes, peut ressaisir la santé et vivre de longs jours. Le recrutement des malades n’est que trop facile : Paris est un infatigable pourvoyeur de phtisiques ; on peut quintupler les lits de l’infirmerie à Villepinte, il ne faudra pas une semaine pour qu’ils soient occupés ; à voir la quantité de pauvres filles qui se pressent dans le cabinet de consultation de la rue de Maubeuge, on comprend que s’il y a beaucoup d’appelées, il y a bien peu d’élues. Tout donateur qui a « fondé » un lit, moyennant une rente annuelle de 1,000 francs, a le droit de le réserver à telle jeune poitrinaire qu’il désignera, ce qui n’est que correct ; les donateurs qui ont une moitié, un tiers ou un quart de lit se concertent pour décider dans quel ordre chacun d’entre eux fera entrer une malade à l’asile. Lorsqu’un lit est libre et n’est pas réclamé par son donateur, on ne tient compte ni de la qualité, ni de la quantité des recommandations ; on n’apprécie que le degré du mal et de l’indigence, et on l’attribue à la malade qui en a le plus besoin.

Les familles sont admises, le dimanche, à visiter les malades dans une pièce spéciale ; on permettait autrefois les promenades dans le parc, il en est résulté des inconvéniens, et on les a supprimées. Pendant le temps des visites, le parloir reste sous la surveillance d’une des religieuses. Les parens ne se gênent guère pour apporter toutes sortes d’alimens frelatés et de mauvaises boissons ; on a beau leur expliquer qu’ils compromettent le résultat du traitement suivi, ils ne s’en soucient, font semblant de se rendre aux remontrances qui leur sont adressées et glissent, en cachette, dans la poche des malades, les cervelas à l’ail et autres denrées de même acabit qu’ils ont apportées. L’entêtement des gens à cet égard est tel que l’on a dû renoncer à accorder des sorties aux poitrinaires ; il suffisait parfois à une malade en voie d’amélioration de passer deux ou trois jours près de ses parens pour perdre le