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la chambre où dort le malade. C’était une des prescriptions favorites du docteur Flaubert, qui fut le père de Gustave et un grand chirurgien. Il recommandait toujours de suspendre un rameau d’arbre vert, principalement de genévrier, au-dessus du lit des enfans et des jeunes gens faibles. Le parc de Villepinte peut, sans s’appauvrir, fournir une ample provision de résine en branche aux dortoirs des deux asiles et l’on s’en trouverait bien.

C’est dans le parc que l’on vit pendant la belle saison, à la grande joie et au grand bien-être des malades. On ne s’y promène qu’en sabots ; la terre est toujours un peu humide et les allées sont molles ; elles sont si étendues, les allées, que l’on se contente d’en arracher les herbes, car le sable de rivière coûte très cher, et il en faudrait bien des tombereaux. Dans une œuvre si utile, on ne peut se permettre les dépenses de luxe ; tout ce que l’on possède, tout ce que l’on recueille par des dons, par des quêtes, tout ce que l’on obtient de la charité privée suffit difficilement à l’entretien de la maison et au traitement des malades, auquel nul médicament, nul supplément alimentaire n’est jamais refusé. J’ai voulu me rendre compte des dépenses forcées qui grèvent le budget de l’asile des poitrinaires et reconnaître en même temps si les boissons toniques ne leur étaient point ménagées. En 1883, la consommation des boissons s’est élevée à 9,348 litres de vin de Bordeaux, 684 litres de vin de Malaga, 300 litres d’eau-de-vie et 5,472 litres de bière ordonnée par le médecin. Voilà ce que les malades ont consommé ; quant aux religieuses, elles boivent de l’eau ; mais elles ont beau ne boire que de l’eau et coucher sur des paillasses, leur budget n’en est pas moins restreint, et il faut leur habileté pour n’en pas rompre l’équilibre. Aussi l’on n’achète pas de sable pour les allées ; on trouve plus économique d’avoir des sabots et d’en porter soi-même. Lorsque l’heure des récréations sonne, c’est un clic-clac assourdissant dans les couloirs.

L’endroit favori, c’est l’extrémité du parc qui confine aux champs, dont l’on n’est séparé que par une haie vive. Je m’y suis promené, et j’ai regretté de n’avoir pas de fusil, car j’y ai vu des lapins. Il devait y avoir là jadis quelque garenne dont tous les habitans ne sont point partis. Il n’y a pas seulement des lapins, il y a un lac qui fait la joie des jeunes filles. On dit un lac ; je le répète par politesse ; la mare d’Enghien en sourirait. C’est une pièce d’eau de forme oblongue, creusée à mains d’ouvriers, où barbotent quelques canards qui viennent à la voix dans l’espoir d’un morceau de pain et qui vivent heureux sans prévoir les douleurs de la broche et les amertumes de la casserole. Sur le lac, on « canote ; » le bateau m’a paru solide, assez large pour chavirer difficilement et