de la métaphysique pure, sous sa forme la plus transcendante. Où donc était le danger, où donc était le venin de cet enseignement d’un caractère si spéculatif ? Uniquement dans trois ou quatre leçons de haute morale, où fondant la morale, comme Fichte, sur le principe de la liberté, il tirait de ce principe la justification des droits de l’homme, et toute une théorie du libéralisme. Ce furent surtout le leçon d’ouverture de la fin de 1818, et celle de 1819, ainsi que la douzième leçon du cours de 1820, qui purent paraître suspectes à un pouvoir de plus en plus ombrageux ; ces leçons qui contenaient la philosophie du libéralisme s’étaient pourtant maintenues à une hauteur toute philosophique, comme il convient à l’enseignement ; elles ne contenaient aucune allusion aux circonstances contemporaines, aucune amertume politique, aucun trait de polémique agressive. Que ce fût là cependant la vraie cause de la disgrâce de Victor Cousin, c’est ce qui résulte de tous les documens[1].
Dans cette retraite de Victor Cousin, nous pouvons saisir sur le vif à la fois et les rares qualités et les lacunes de son esprit et de son talent. D’une part, c’était sans doute une preuve de force et d’énergie chez un si jeune homme d’être capable de se retirer, comme il le fit alors, du monde des vivans et dans une absolue solitude pour se livrer à l’étude et à la publication des manuscrits de Proclus, en faveur desquels le gouvernement avait bien voulu lui faire des loisirs. Ce fut encore une marque de force que ce dévoûment exclusif et sans partage à la philosophie dans son sens le plus austère. Qu’un jeune homme de vingt-huit ans, qui venait d’obtenir par la parole un succès prodigieux et tout nouveau en France, et par là une grande popularité, qui venait d’être victime d’une iniquité injustifiable, qui était lié d’ailleurs avec tout ce qu’il y avait de plus éminent dans le parti libéral, qu’un tel homme eût été tenté de profiter de toutes ces ouvertures pour entrer dans la vie publique, si non au parlement, car il n’avait pas l’âge, au moins dans la presse, comme firent Dubois, Thiers, Carrelet Mignet, et s’ouvrir par là un champ d’ambition qui n’avait rien de disproportionné avec son talent, qui aurait eu le droit de l’en blâmer ou même de s’en étonner ? Il aurait pu, comme Lamennais plus tard, entretenir sa popularité et préparer sa revanche par des brochures à tapage et à sensation. Il aurait pu, au moins, s’il ne voulait pas toucher à la politique, se livrer à la littérature, pour laquelle il s’est pris plus tard d’une si vive passion et pour laquelle il avait reçu de la nature des dons si heureux et si brillans. En un mot, sevré tout à coup, dans l’âge qui
- ↑ Voir les articles d’Augustin Thierry et de Kératry, rapportés comme pièces justificatives dans la publication de M. Vacherot (Introduction aux leçons de 1820, p. 135). Voir aussi, en sens inverse, Maugras, Cours de philosophie morale, p. 259.