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exemple dans l’acte libre de la créature, elle n’en serait pas moins une doctrine panthéistique : si le monde est par rapport à Dieu ce que mes actes sont à ma volonté, le monde ne sera toujours que la modification de Dieu, le phénomène de Dieu ; car mes actes ne sont que mes phénomènes, et la volonté sans les actes n’est qu’une puissance nue. A la vérité, Cousin fait bien remarquer que l’âme ne s’épuise pas dans ses actes ; elle leur est donc supérieure, et elle est transcendante par rapport à eux ; mais elle n’est rien sans eux, et ils n’ont par eux-mêmes aucune existence propre. Enfin, après avoir assimilé la création à l’acte libre, Cousin, oubliant cette comparaison, disait : « La création n’est pas seulement possible, mais elle est nécessaire… Dieu, s’il est une cause, peut créer, et, s’il est une cause absolue, il ne peut pas ne pas créer… Dieu est une force créatrice absolue qui ne peut pas ne pas passer à l’acte. » Cette théorie de la création nécessaire, malgré le point de vue hautement spiritualiste dont elle partait, n’en a pas moins été une des plus combattues par la polémique religieuse, une de celles qui a paru la plus entachée de panthéisme.

Si nous passons à la seconde partie du cours, à la philosophie de l’histoire, nous y remarquerons les points suivans, dont la développement nous entraînerait trop loin et qui sont d’ailleurs passablement connus : la théorie de l’histoire en général ramenée à l’évolution des idées ; — la théorie des grandes époques de l’histoire (Orient, Grèce, temps modernes), chacune de ces grandes périodes résumant une idée, l’Orient l’idée de l’infini, la Grèce l’idée du fini, le monde moderne ou chrétien l’union intime de l’infini et du fini ; — la théorie des peuples ; — la théorie des grands hommes, chaque peuple, chaque grand homme étant l’expression d’une idée et toutes les grandes luttes de l’histoire n’étant que le triomphe d’une pensée plus avancée sur une pensée épuisée et finie : d’où la célèbre apologie de la victoire et du succès. En résumé, la philosophie de l’histoire contenue dans les leçons de 1828 se réduisait à une sorte d’optimisme fataliste, emprunté à Hegel et qui pouvait être trop facilement interprété en une apologie de la force.

Mais, sans méconnaître la valeur des objections qui ont été faites et peuvent l’être encore contre cette doctrine, tenons compte cependant du milieu historique d’où elle est sortie. C’était la première fois, dans le développement des siècles, que l’on avait été amené à remarquer l’influence de la pensée sur les événemens de l’histoire. De là à affirmer que cette influence était irrésistible et que tout événement est le résultat légitime de la victoire d’une idée, il y avait une pente naturelle. Aussi remarque-t-on à cette époque, en histoire, un courant fataliste chez les grands historiens de la