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Au lendemain des cent jours, Mme de Remusat était à Toulouse ; son mari venait d’être nommé préfet de la Haute-Garonne. Leur fils suivait à Paris des études de droit, de sciences, de lettres et aussi de politique. Le ministère du duc de Richelieu s’occupait du traité de paix, les chambres s’étaient ouvertes. Le jeune étudiant, qui par ses hautes et nombreuses relations, était à même de se bien renseigner, observait tout, jugeait les hommes et les choses. De Paris à Toulouse, on échangeait ses réflexions, ses pensées, ses craintes, ses espérances. Les deux volumes dans lesquels M. Paul de Rémusat a réuni les lettres que s’écrivirent son père et sa grand’mère du mois de novembre 1815 au mois de janvier 1817 abondent en curieux détails, en anecdotes piquantes[1]. Comme le dit l’aimable et spirituel éditeur, « cette correspondance retrace les premiers jours de ce gouvernement parlementaire qui est l’honneur de notre siècle, et dont la fortune est associée depuis tantôt quatre-vingts ans à la fortune de la France. » A vrai dire, ce nouveau régime, qui devait avoir ses années de gloire, s’annonçait bien mal. Jamais enfant souffreteux, chétif et criard ne débuta plus tristement dans la vie. On pouvait douter qu’il fût né viable.

M. de Rémusat avait accepté une lourde tâche en se chargeant de représenter l’ordre, la modération, les idées de gouvernement dans une ville comme Toulouse, livrée à tous les excès, à toutes les intempérances de l’esprit de faction, dans une ville où le général Ramel venait d’être assassiné par ces volontaires royalistes qu’on appelait les verdets. Il fallait contenir dans le devoir des énergumènes toujours prêts à se porter à quelque extrémité ; il fallait prendre de l’empire sur-des têtes surchauffées, qui ne voulaient entendre à rien, qui avaient décidé qu’un bon tiers des Français méritait d’être roué, le second tiers d’être pendu et qu’on devait confier au troisième le soin de pendre et de rouer les deux autres. Sur les bords de la Garonne, plus qu’ailleurs, le métier de préfet demandait un esprit toujours actif, ingénieux, fertile en expédiens, une main ferme autant que douce et paternelle. On était tenu de n’employer que des remèdes bénins ; autrement le gouvernement se serait plaint « que l’humeur personnelle avait ajouté aux humeurs du pays, qu’on aurait pu avoir plus de douceur et de patience. » En quittant Toulouse, le duc d’Angoulême avait dit à M. de Rémusat : « Vous administrez bien, mais vous ne soignez pas assez ma noblesse de cette ville ; elle est importante, et il est dans l’intérêt du roi qu’on la ménage. » En peu de mois, cette noblesse provinciale, qui correspondait par-dessus la tête des autorités avec les hauts personnages dont s’entouraient et le duc d’Angoulême et

  1. Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la restauration, publiée par son fils Paul de Rémusat, sénateur. Calmann Lévy, 1884.