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à Leimeritz, mais d’y envoyer assez de monde pour qu’on pût lui tendre utilement la main dès qu’il approcherait de la ville. Il devait aussi y préparer des provisions de toute nature, indispensables pour refaire son armée après une marche longue et qui ne pouvait manquer d’être très fatigante. « Arrivez seulement à portée de Leimeritz, lui écrivait-il, et vous pouvez regarder que la jonction est faite, et nous serons en mesure, si vous le désirez, de prêter le collet à M. le grand-duc[1]. »

Maillebois, ainsi encouragé, commença par concentrer toutes ses troupes aux environs d’Égra, puis se mit en marché dans le sens indiqué. Il plaça en tête le corps d’armée du comte de Saxe, lui confiant par là, en réalité, la conduite d’une expédition où il ne s’embarquait,. disait-il, que sur sa périlleuse parole. Mais Maurice avait compté sans la mauvaise saison et, oubliant qu’il n’était plus Allemand, n’avait pas prévu non plus la mauvaise volonté des populations. Aussi, à l’épreuve, la marche se trouva bien plus pénible et surtout bien plus longue qu’on ne s’y attendait. On avait à traverser des bois fourrés et des défilés étroits très peu propices en tout temps au transport d’une grande masse d’hommes, mais où des pluies d’automne précoces avaient déjà transformé les moindres sentiers en véritables fondrières. Pour venir en aide aux équipages embourbés, il fallait réclamer à tout instant le concours des habitans, qui, très hostiles à l’armée étrangère et en rapport constant, au contraire, avec celle qui parlait leur langue, ne prêtaient leurs services qu’en rechignant et faussaient compagnie dans le moment où on aurait eu le plus besoin d’eux. « J’ai dû, écrivait Maillebois, prendre deux mille voitures appartenant à des paysans de mauvaise volonté ; mais ils emmènent leurs chevaux et abandonnent leurs chariots ; il faudrait mettre après chacun d’eux une sentinelle pour les garder : c’est au point que, pour ne pas perdre tous les transports de vivres et d’artillerie, il faut faire faire les équipages par des soldats pris dans les régimens. » En quittant les Français, les paysans déserteurs allaient tout droit au campement des Autrichiens les avertir et des mouvemens auxquels ils avaient refusé de s’associer et des embarras qu’ils venaient d’accroître. Aussi de poste en poste on rencontrait des partis détachés placés en embuscade qui attendaient le passage des troupes françaises pour leur enlever leurs éclaireurs, leurs traînards ou leurs malades, et les tenir jour et nuit sur le qui-vive. C’est ainsi qu’arrivé aux défilés de Casden, l’endroit, disent les relations, le plus affreux du passage, le comte

  1. Broglie à Maillebois, 13 octobre 1742. — Note de Belle-Isle sur la lettre de Maillebois, 14 octobre 1742. (Ministère de la guerre. Correspondances officielles et diverses.)