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pour m’accompagner assez vigoureusement ; il a une si bonne constitution qu’il vivra tant qu’il y aura de l’huile dans la lampe. »

Et quelques semaines après, le 19 novembre : « Le cardinal a eu dernièrement un dévoiement qui l’avait mis assez bas ; mais il est mieux depuis quelques jours ; plus il avance dans sa carrière, plus il devient soupçonneux et jaloux, voulant tout faire par lui-même, et le cardinal de Tencin, qui le connaît, ne se hasarde sur rien, prenant garde de ne rien faire qui puisse le faire repentir de l’avoir mis dans le conseil. » Puis le 26 : « On doit regarder la santé du cardinal comme une lumière qui tire à sa fin, laquelle, à mesure qu’elle semble s’éteindre, se ranime, mais toujours avec moins de force qu’auparavant ; la saison est mauvaise pour le vieillard. » Et le 30 : « Le cardinal est resté à Issy, où il est encore, pour un peu s’y reprendre, suivant lui, car il croit toujours que la nature fera un nouvel effort pour lui prolonger la vie pendant quelque temps, ne pouvant se persuader que le moment de délogement approche, et qu’il faut qu’il quitte cette autorité et cette domination dont la conservation lui est si chère que, malgré l’état de décadence où il se voit, il ne peut se résoudre de mettre un intervalle entre la vie et la mort. » Le 10 décembre : « Le cardinal est toujours retiré à Issy. Le contrôleur-général et les quatre secrétaires d’état travaillent avec le roi et rendent compte de tout au premier ministre. Ce que nous voyons ici pour le présent, c’est un premier ministre de quatre-vingt-dix ans qui tire à sa fin, faible de plus en plus de corps et d’esprit, et voulant, malgré tout, conserver son autorité ; un roi dont on ne connaît pas les talens, mais qui ne veut pas chagriner le cardinal ; les autres ministres, qui dépendent en tout de ce premier, quoiqu’il ne soit plus en état de donner d’attention aux affaires, cela dans la situation la plus critique où la France se soit trouvée depuis longtemps. » Le 14 décembre : « La santé du cardinal est toujours de plus en plus mauvaise, quoiqu’il tâche de faire croire le contraire et qu’il se porte mieux. Il prend depuis trois jours du lait de chèvre pour arrêter son dévoiement. Les effets en sont si médiocres qu’on ne sait qu’en penser et, si on en croit les médecins, ce lait ne vaut rien pour les vieillards, mais il l’a voulu. L’amour de la vie est si enraciné dans l’âme de ce prélat qu’il croit toujours qu’il pourra se rétablir. Tout roule sur ce vieillard jaloux de son autorité… Son premier souci est d’exister avec le sentiment du pouvoir entre ses mains. »

Enfin, dans les premiers jours de janvier : « Le cardinal est agonisant et le roi de France ne veut se déterminer sur rien tant qu’il voit le cardinal vivant ; les ministres ne savent comment faire pour