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du marché, auraient pu opprimer le travail et rançonner les consommateurs. Il fallait donc trouver des garanties. Pour les consommateurs, ce fut la liberté des échanges, laquelle devait leur permettre de se pourvoir sur les différens marchés du monde ; pour le travail, c’est-à-dire pour les ouvriers, ce fut la réforme ou la suppression des lois qui s’opposaient à la libre discussion du salaire ; ce fut, en même temps, la faculté donnée aux travailleurs de s’associer comme le faisaient les capitalistes, de constituer des forces collectives en vue d’accroître autant que possible, par un débat légitime, leur part de rémunération et de bien-être. Ainsi s’expliquent les traités de commerce, la réduction des droits de douane, la loi de 1864 sur le régime des coalitions, l’enquête sur les associations coopératives, la loi de 1867 sur les sociétés et maintes autres mesures destinées à fortifier, en l’améliorant, la condition du travail.

La politique jouait évidemment un grand rôle dans ces manifestations répétées. Il y avait là une question de popularité, question capitale sous un régime de suffrage universel. Lors même que les dispositions personnelles du souverain n’auraient pas été notoirement favorables à l’organisation des sociétés ouvrières, l’intérêt supérieur de la politique commandait au gouvernement de se prêter à un nouvel essai. L’échec des socialistes de 1848 pouvait ne pas être considéré comme décisif. Beaucoup d’ouvriers parmi les plus intelligens demeuraient fidèles à l’idée d’association, que les partis hostiles entretenaient avec soin comme une tradition républicaine et libérale. Les ouvriers délégués à l’exposition universelle de Londres, en 1862, avaient rapporté des impressions très vives au sujet des facilités qui étaient accordées à leurs collègues anglais pour se réunir, se concerter et s’associer. Le gouvernement ne pouvait pas méconnaître l’importance du mouvement qui agitait tous les ateliers et qui bientôt se propagea dans le peuple. Le problème de l’association ouvrière était posé de nouveau, et il devenait nécessaire de le résoudre. De 1862 à 1867, pendant la préparation de la loi sur les sociétés, tous les esprits s’y appliquèrent avec une sorte d’acharnement. L’empire et les partis luttaient à qui obtiendrait, dans l’opinion des classes ouvrières, le mérite de l’effort et l’honneur du succès.

Les sociétés dites coopératives étaient alors particulièrement en faveur. Le progrès des associations constituées sous cette forme, en Angleterre, avait attiré l’attention sympathique et confiante de tous ceux qui, en France, s’occupaient de la grande question du travail. L’exemple des « équitables pionniers de Rochdale » était cité et proclamé comme une démonstration complète du système,