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Prélèvement spécial et convenu sur les bénéfices des années favorables. Le salaire fixe demeure intacte — Pour ce qui concerne les comptes, rien de plus simple. Le patron garde toute son autorité. Les ouvriers sont tenus d’accepter le bilan, les inventaires, les profits et pertes, tels qu’ils sont arrêtés par la direction. Il n’y a donc pas de contestation possible. On fait observer que, dans les entreprises constituées sous la forme anonyme, les ouvriers doivent nécessairement s’en rapporter aux comptes vérifiés par la commission et approuvés par les assemblées générales, et que, dans les entreprises individuelles, la probité des comptes est garantie par la collaboration des employés comptables qui sont eux-mêmes des participans. C’est ainsi que les industriels entendus par la commission d’enquête ont déclaré qu’ils procédaient, sans avoir rencontré jusqu’ici aucune difficulté : Le plus difficile, a dit l’un d’eux, ce n’est pas de réartir les bénéfices, c’est de les réaliser.

Il existe en France une cinquantaine d’établissemens qui ont adopté ce régime, et leurs chefs rendent en général bon témoignage des résultats qu’ils ont obtenus. Le chiffre est bien minime, il englobe à peine dix mille ouvriers, et pourtant la propagande, appuyée des meilleurs exemples, date déjà de plusieurs années. Remarquons, en outre, que ces établissemens privilégiés sont pour la plupart solidement assis, qu’ils ont pour directeurs des hommes d’intelligence supérieure, inspirés par le dévoûment qui rend facile le partage des profits, secondés par une fortune acquise qui permet de supporter les pertes, quelques-uns mêmes possédés de la foi qui transporte les montagnes. Il faut bien se garder de décourager de tels efforts. Assez d’autres prêchent la division et pratiquent l’égoïsme. Ces croisés de la participation, qui veulent avec tant de ferveur la répartition pacifique des fruits du travail, méritent le respect ; mais, s’il est désirable que leur exemple soit imité, il paraît douteux que leur système prenne jamais une grande place dans le mécanisme industriel.

La participation telle qu’elle est appliquée n’est point, à vrai dire, un système, ni même un contrat ; c’est simplement une libéralité. Il se peut que le travail plus productif de l’ouvrier participant, justifie la condition qui l’exempte de supporter les pertes de travail à la tâche donnerait des résultats plus certains ; mais la clause qui laisse au patron la faculté exclusive de dresser l’inventaire d’où résulte le néant ou la quotité des bénéfices, cette clause nécessaire enlève à la combinaison toute base solide. Si la participation entrait à ce point dans les mœurs industrielles qu’il devînt utile de la consacrer par des mesures législatives, il est clair que la loi prétendrait régler, d’une façon moins primitive et plus précise, les conditions de l’accorda intervenir entre le patron et les ouvriers.