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pas oublier qu’on était encore à cette époque tout près de l’origine de l’université. Il s’agissait de constituer et d’organiser ce grand corps et de jeter les bases de l’enseignement nouveau. Le conseil royal, composé de tout ce qu’il y avait de plus éminent et de plus illustre dans tous les genres, Cousin, Poisson, Thénard, Rossi, Saint-Marc Girardin, Dubois, fut le principal organe de cette révolution. Cousin en fut l’un des membres les plus énergiques et les plus actifs. Ce fut à titre de conseiller de l’université que, pendant tout le règne de Louis-Philippe, il eut pour sa part la direction et le gouvernement de l’enseignement philosophique.

Quel fut donc cet enseignement qui a soulevé tant de critiques et de protestations diverses, souvent même contradictoires ? C’est ce que nous avons à examiner.


I

Si nous consultons sur cette question, comme nous l’avons fait pour la philosophie de Cousin elle-même, l’opinion des générations nouvelles, voici ce qu’on nous répondra : Victor Cousin, dira-t-on, a pu être plus ou moins un philosophe, c’est-à-dire un penseur libre, tant qu’il a été dans sa chaire ou dans l’opposition ; mais lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il n’a plus été qu’un administrateur. À ce titre, il a cherché à fonder une philosophie officielle, une philosophie d’état. Il a imposé un dogme, un Credo, un catéchisme ; il a sacrifié la science libre aux conclusions dogmatiques d’une orthodoxie philosophique à peine différente de l’orthodoxie religieuse.

Voici, du reste, cette opinion récemment résumée par un de nos jeunes philosophes : « Quant à la philosophie, M. Cousin et son état-major l’avaient façonnée une fois pour toutes à l’usage des lycées, lui avaient assigné des limites fixes et avaient décidé qu’elle n’irait pas plus loin ni moins loin. Le professeur devait donc démontrer la spiritualité et l’immortalité de l’âme par les moyens officiellement reconnus, prouver le libre arbitre par ordre, chercher la substance et trouver Dieu sur commande, enfin se livrer tout entier et livrer ses élèves à l’éclectisme et aux doctrines brevetées avec garantie du gouvernement[1]. »

Cette opinion, aujourd’hui universellement répandue, repose sur une connaissance insuffisante des faits, sur l’oubli de l’histoire et du passé. Nous croyons, au contraire, pouvoir établir les deux propositions suivantes : 1° Victor Cousin a fait pour l’enseignement de la philosophie ce que Descartes avait fait pour la philosophie

  1. Voir la Revue internationale de l’enseignement, 15 novembre 1881.