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s’exprimait sur le principe de la laïcité dans l’enseignement secondaire, et en particulier dans l’enseignement de la philosophie :

« L’enseignement de la philosophie est donc un enseignement nécessaire. Mais, pour qu’il remplisse sa grande et salutaire mission, précisément pour qu’il serve et la religion et la société, il faut qu’il ne repose point sur les dogmes particuliers d’aucun des cultes reconnus, car autrement il ne les sert pas tous, il n’en sert qu’un seul, il ne s’applique qu’à une certaine partie de la jeunesse, il n’est plus fait pour la société tout entière. Il ne peut donc plus être donné au nom de l’état, mais au nom seul de la religion catholique ; il ne peut être institué que par elle et ne peut être surveillé que par elle à tous ses degrés. Il faut alors, pour être conséquent, remettre au clergé la direction des concours d’agrégation en ce qui concerne la philosophie ; il faut lui remettre l’enseignement philosophique de l’École normale, qui y prépare, et encore le droit d’interroger au baccalauréat ès-lettres sur la partie philosophique de l’examen,.. c’est-à-dire qu’il faut bouleverser de fond en comble l’université. — Pourquoi pas ? dira-t-on. Eh bien ! à la bonne heure. Mais voici une autre conséquence un peu plus embarrassante, car elle n’atteint plus seulement l’université, mais la société tout entière, telle que nous l’ont transmise la révolution et l’empire. Encore une fois, qu’a voulu la révolution et qu’a fait l’empire ? Une société où tous les membres de la mère pairie, quel que soit leur culte, servant dans la même armée, portant les mêmes charges, sont également admissibles à tous les emplois, doivent être imbus du même esprit civil, et par conséquent recevoir à peu près la même éducation. Tel est le fondement sur lequel est établi l’université… L’unité de nos écoles exprime, confirme l’unité de la patrie… Pour maintenir donc l’esprit de notre société, il faut maintenir celui de l’université et le caractère séculier de l’enseignement de la philosophie[1]. »

Cette idée d’une éducation civile et humaine, commune à tous les cultes, était si profondément ancrée dans l’esprit de Victor Cousin, qu’elle lui faisait même repousser « avec indignation, » c’est son expression, le principe de la liberté d’enseignement : « Il faut alors, dit-il et c’est ce que j’entends demander avec indignation, il faut des collèges différens pour les différens cultes, des collèges catholiques et des collèges protestans, des collèges luthériens et des collèges calvinistes, des collèges juifs et bientôt des collèges musulmans. Dès l’enfance, nous apprendrons à nous fuir les uns les autres, à nous renfermer dans des camps différens, des

  1. Discours du 21 avril 1844.