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qui s’était emparée des meilleurs cerveaux. Il fallait aussi redouter les effets de cette disposition, devenue particulière à l’esprit français, qui ne nous permet plus de supporter une défaite sans en rejeter le crime sur le gouvernement que nous acclamions hier et sur les institutions qui faisaient auparavant notre orgueil.

L’université, j’entends nos trois ordres d’enseignement, subit la loi commune ; elle ne fut guère épargnée dans le concert de récriminations qui s’éleva de tant de côtés alors et qui donna à l’Europe une si haute idée de notre dignité dans la mauvaise fortune. On lui fit son procès comme si, dans ce grand désastre, où personne ne voulait accepter virilement sa juste part de responsabilité, elle eût spécialement à se reprocher des torts graves. Il fut admis, convenu que, si nos armes avaient été malheureuses, la faute en devait être imputée dans une notable mesure à l’infériorité de nos écoles. Quelqu’un avait déjà dit assez imprudemment que c’était l’instituteur primaire qui avait vaincu l’Autriche à Sadowa. Le mot avait fait fortune. On le reprit, on le commenta et on le développa de mille manières. Il devint, par une application douloureuse aux conjonctures du moment, une sorte d’axiome qu’il ne fut plus permis de discuter et sur lequel chacun de se jeter, avec la prédilection que nous avons toujours elle pour les formules toutes faites, celles qui dispensent d’approfondir et de penser par soi-même. La presse fit là son office ordinaire : au lieu de guider l’opinion publique, elle la suivit ; au lieu de la mettre en garda contre des entraînemens désordonnés, et des préventions irréfléchies, elle s’y abandonna complètement elle-même. Bref, ce fut pendant plusieurs années un tolle général contre notre système d’études ; et particulièrement contre études classiques.

Attaquées de tous côtés, mal défendues, sinon abandonnes par ceux-là même qui avaient charge les défendre, il semblât qu’elles fussent menacées d’une destruction complète. Elles n’ont été qu’amoindries et mutilées. Rendons-en grâce au conseil supérieur de l’instruction publique : s’il a fait du mal, il faut lui savoir gué de n’en avoir pas fait davantage.

Ses origines, sa composition, le mouvement dont il était l’expression et qui avait envoyé siéger sur ses bancs, non les plus sages et les plus autorisés, mais les plus ardens, l’étroite dépendance de la plupart de ses membres à l’égard d’une administration très puissante et qui se présentait armée des projets, les plus subversifs, secret de ses délibérations et l’absence de la garantie que les idées modérées trouvent dans la publicité de leurs manifestations, tout semblait autoriser des plus vives alarmes. Par bonheur, les choses ont mieux tourné. Comme il arrive souvent, l’institution, vicieuse au fond, née d’une pensée de revanche et de