vers l’avenir ; du haut de sa chaire ou du fond de son laboratoire, sa pensée s’élance à la conquête du monde matériel, soumis à ses lois, vaincu par la toute-puissance de sa méthode et de ses instrumens. Or il n’y a là rien qui puisse déplaire à la démocratie : les sciences, qu’elles le veuillent ou non, travaillent pour elle ; après l’avoir affranchie au XVIIIe siècle, lui avoir donné l’empire ensuite, elles ouvrent à son imagination d’éblouissantes perspectives de bien-être, de richesse et de bonheur. Comment lutter contre de pareilles séductions ? Les lettres, les pauvres lettres n’ont pas d’argumens de cette puissance à leur service ; elles ne constituent, en somme, qu’un fort médiocre placement, c’est-à-dire une anomalie dans une société comme la nôtre, éprise de gros dividendes et folle de jouissances. S’adressant aux facultés supérieures de l’homme, au lieu de le prendre par ses bas instincts, elles sont vaincues d’avance toutes les fois que c’est le nombre et non l’élite qui règne.
Le trait commun de la plupart des projets d’instruction publique qui datent de l’époque de la révolution, c’est l’énorme prépondérance des études scientifiques. Condorcet, dans ses instituts qui servirent de modèle aux écoles centrales, leur avait déjà fait la part du lion : sur quatorze cours et sur quatorze professeurs, il leur en attribuait libéralement douze, et, s’il n’osa pas aller jusqu’à supprimer complètement le latin, il entendait bien en réduire l’étude à la plus simple expression. Il lui paraissait très suffisant de « mettre les élèves en état de lire les livres vraiment utiles écrits dans cette langue. » Quant à la connaissance approfondie des littératures anciennes, il la tenait pour « plus nuisible qu’utile. » Les auteurs de la loi du 3 brumaire an IV, Lakanal et Daunou, sans professer pour les lettres un aussi souverain dédain, ne laissèrent pas néanmoins, eux aussi, de les sacrifier.
Dans les anciens collèges, les classes de grammaire et de belles-lettres duraient huit ans sans interruption. Dans les écoles centrales, il n’y eut plus de classes proprement dites ; on leur substitua de simples cours isolés, sans liens d’aucune sorte entre eux, et leur durée, pour les lettres, fut ramenée à quatre années. Encore eut-on soin de séparer les cours de grammaire de ceux de belles-lettres par un intervalle de deux années, entièrement consacrées aux sciences ; si bien qu’après avoir appris de douze à quatorze ans les premiers élémens des langues grecque et latine et commencé de traduire les auteurs faciles, les élèves des écoles centrales demeuraient ensuite vingt-quatre mois sans faire un thème ni une version. Autant eût valu supprimer complètement l’étude des langues anciennes.
La convention recula devant cette extrémité ; mais ce n’est pas, aux yeux de ses dévots, une raison suffisante. Il faut reprendre la