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toute sa vie de ces misères, et il put en souffrir sans trop déchoir, car elles lui rappelaient incessamment la tache de sa naissance.

En 1563, don Juan, âgé de seize ans, fut envoyé à l’université d’Alcala, pour y achever ses études, avec don Carlos et avec Alexandre Farnèse, prince de Parme. Il fut logé dans le palais archiépiscopal, ainsi que don Carlos, qui avait pour précepteur Honorato Juan. C’est à Alcala que l’infant, débile depuis son enfance, eut un accident qui faillit lui coûter la vie et qui lui coûta la perte de la raison. Il avait donné un rendez-vous à la fille du concierge du palais ; en s’y rendant, il tomba dans un escalier et reçut une sérieuse contusion à la tête. Il tomba si malade qu’on lui fit subir l’opération du trépan ; il fut sauvé, mais le malheureux prince donna, depuis ce moment, des signes de plus en plus marqués d’aliénation mentale. Pour don Juan, il resta deux ans à Alcala avec le prince Alexandre, plus occupé de chevaux et de chasse que de ses études. Philippe II, pour obéir au vœu de Charles-Quint, songeait à faire entrer son frère naturel dans l’église. Il demanda pour lui à Pie V un chapeau de cardinal ; mais le jeune prince n’avait de goût que pour les armes. A dix-huit ans, il demanda à joindre une expédition contre les Turcs ; Philippe le trouva trop jeune encore et refusa de le laisser partir. Don Juan résolut de prendre la fuite ; parti pour le bois de Ségovie avec don Carlos, il le quitta, et, avec deux serviteurs, prit à cheval le chemin de Barcelone. Il tomba malade en route de la fièvre tierce, et, à peine sorti du lit, il se remit en chemin. Quand il arriva à Barcelone, les galères de l’expédition étaient déjà parties et un ordre du roi vint l’arrêter ; il dut revenir à la cour.

Philippe II lui pardonna cette équipée ; au mois d’octobre 1567, il le nomma amiral, ou, comme on disait alors, général de la mer. Deux mois après environ, don Carlos envoya chercher don Juan, il lui exposa ses griefs contre son père Philippe, pour lequel il ressentait une aversion grandissante, lui dit qu’il était résolu à fuir et le pria de l’accompagner dans sa fuite. Les deux jeunes gens avaient été longtemps bons amis ; on trouve trace, dans les comptes de don Carlos, de riches présens que le neveu avait faits à son oncle ; il lui promit, s’il suivait sa cause, de lui donner le royaume de Naples ou le duché de Milan. Don Juan était léger, mais il venait de recevoir du roi une marque signalée de faveur. Il tenta d’ébranler la résolution de don Carlos ; mais, ne pouvant y réussir, il n’hésita pas à aller à l’Escurial et fit connaître à Philippe le dessein de son fils. Le 17 janvier, le roi retourna avec don Juan dans la capitale ; à peine était-il arrivé que don Carlos vint le saluer. Depuis quelque temps déjà, le père et le fils ne se parlaient plus ; mais, dans cette