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et les Turcs, il était décidé à ne se point contenter de peu de revenus, de bénéfices ; le conseil d’Espagne lui offrit l’archevêché de Tolède avec 200,000 ducats de revenus ; il pria le roi de ne point lui faire un tel cadeau. L’ambassadeur de Venise parle abondamment des rapports de don Juan avec les autres souverains ; il le montre en froid avec la plupart des princes italiens, peu content de l’empereur et ne trouvant pas que celui-ci lui témoignât assez de considération. Avec le roi de France il était au plus mal ; il ménageait Venise, aspirant toujours à rattacher les fils de la ligue sainte.

Philippe voulait que don Juan passât l’hiver de 1575 à Messine, mais le prince, impatient de retourner en Espagne, s’embarqua à Gênes et, en arrivant à Barcelone, il apprit que sa visite n’était point désirée. Philippe II le reçut pourtant avec bonté. Don Juan lui demanda deux choses : le titre d’infant et des pouvoirs qui lui donnassent l’autorité sur les vice-rois en Italie. Philippe lui répondit simplement que ces demandes seraient examinées par le conseil d’Italie. Après une visite rapide à doña Magdelena de Ulloa, il se rembarqua pour l’Italie. Granvelle fut peu à peu remplacé, comme vice-roi à Naples, par Mondejar, personnage tellement hautain qu’un de ses visiteurs napolitains dit en sortant de chez lui : « J’étais allé voir le vice-roi, j’ai trouvé le roi d’Espagne. » Don Juan fut bientôt aussi mal avec lui qu’il l’avait été avec Granvelle. A Lépante, don Juan avait fait vœu d’aller faire un pèlerinage à Lorette. Il s’y rendit pendant l’hiver de 1575 à 1576 ; il fit le voyage à cheval par un temps affreux et par de mauvaises routes. Dès qu’il fut en vue de l’église, un chroniqueur raconte qu’il demeura constamment tête nue et sans manteau pour témoigner de son respect à la Vierge, qui lui avait sauvé la vie. Il fit de magnifiques présens à l’église, se confessa et communia avant de repartir. Son sort était sur le point de changer ; il avait eu un moment un rôle admirable, celui d’un grand héros chrétien, destiné à refouler partout la puissance du croissant. Entouré des feux de Lépante, il sembla un moment plus grand que les princes et les rois ; mais ce beau rêve n’avait pas été long. La défection de Venise, toujours à demi païenne, avait porté un coup fatal à la ligue. L’entreprise de Tunis, heureuse au début, avait fini par un désastre. Le séjour des Capoues italiennes fut fatal à don Juan. Il n’avait pas seulement été affaibli par les lenteurs, les tergiversations calculées, la lésinerie de Philippe ; il n’avait point les qualités du diplomate et du politique, il n’avait su manier ni les vice-rois, ni les princes italiens. Emporté, ne souffrant pas la contradiction, il ne rêvait que victoires et batailles. Bien qu’après son voyage à Madrid il eût été investi d’une autorité plus grande, il ne la trouvait pas encore suffisante et il finit par demander en grâce à Philippe II de le relever de ses fonctions.