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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/952

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d’exagérer des problèmes toujours inquiétans, de susciter des espérances qui dépassent la réalité, de promettre plus qu’ils ne peuvent tenir. Car enfin cette commission qui vient d’être nommée, qu’on a chargée ou qui s’est chargée d’étudier toute une situation économique et industrielle, que peut-elle faire réellement ? Comment et sous quelle inspiration va-t-elle procéder ? Elle existe, c’est entendu, puisqu’on l’a décidé ainsi ; elle s’est constituée, elle s’est donné un président, et ce président, qui est M. Spuller, a naturellement ouvert les travaux de la commission par un discours approprié à la circonstance. Un questionnaire a été aussitôt rédigé. Et après ? M. Spuller, sous prétexte qu’il n’a pas peur des mots, n’a pas craint de dire que l’enquête devait être « poursuivie dans un esprit profondément socialiste. » D’un autre côté, il est vrai, il s’est empressé de donner toute son approbation aux opinions de M. le président du conseil, qui justement, dans cette dernière discussion, dans ses plus récens discours, s’est prononcé avec une netteté hardie contre les prétendues recettes socialistes, qui s’est déclaré partisan énergique de la liberté, de l’initiative individuelle dans les affaires d’industrie. Que signifie déjà cette équivoque placée par le président même de la commission au seuil de l’enquête comme pour en obscurcir ou en altérer d’avance le caractère ?

Certes, si les équivoques et les idées fausses sont toujours dangereuses en politique, elles le sont encore plus dans ces délicates et redoutables questions qui ne se résolvent pas avec des chimères ou avec des mots décevans, parce qu’elles touchent aux plus sévères réalités de la vie, aux conditions du travail, aux salaires, aux relations des ouvriers et des patrons aussi bien qu’aux relations de commerce entre les peuples. Qu’entend-on par ce mot de socialisme, qu’on répète si souvent et que M. le président Spuller a cru devoir introduire officiellement dans le programme de la nouvelle commission d’enquête parlementaire ? S’il s’agit d’étudier sans parti-pris, avec sincérité les causes de la crise dont souffre aujourd’hui la France industrielle, de rechercher comment on peut améliorer les conditions du travail, atténuer les chômages, multiplier les institutions de prévoyance, protéger l’enfance déshéritée ou assurer une retraite aux vieillards, — s’il s’agit de tout cela, rien de mieux sans aucun doute. Seulement ce n’est pas là découvrir une grande nouveauté, c’est tout simplement se proposer ce que, depuis longtemps, tous les régimes ont fait sans y mettre tant de prétentions. Il ne faudrait pas être plaisant. Vous vous souvenez cependant, — et qui ne s’en souvient ? — de l’amusante scène de la leçon de philosophie tracée par Molière à l’usage de M. Jourdain. Comme le bonhomme est ébahi et triomphe lorsqu’il ouvre les yeux à la lumière philosophique et découvre tout à coup que, depuis quarante ans, il fait de la prose sans le savoir,