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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/117

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chefs-d’œuvre. Les Sœurs de Saint-Paul, dont la pauvreté est grande, dont le bienfait est incessant, tirent-elles de l’habileté de leurs ouvrières le parti que des personnes plus avisées et surtout plus intéressées en pourraient tirer ? Je ne sais, mais je ne le crois pas. J’imagine que l’ouvroir pourrait répondre plus fructueusement aux exigences de la maison où la cécité est choyée et réconfortée. Les temps agressifs que nous traversons y sont pour quelque chose. On se sent soupçonné, épié, dénoncé. La paix de la conscience, la certitude des services que l’on rend ne sont qu’une satisfaction intime et n’ont jamais protégé nul être de bien contre la sottise et le mauvais vouloir. On se fait humble, on cherche à être oublié, on craint d’être remarqué si l’on se montre au grand jour, hors de la retraite où l’on vit renfermé. On a peur que, comme aux heures néfastes du mois de mai 1871, on ne vienne dire : « Allons, les nonnes, il faut déguerpir ! » On vit de privations, sinon de misère, et l’on s’estime heureux si l’on a évité les regards de l’ignorance infatuée d’elle-même. On sait, en outre, que l’ouvrière de Paris pousse des cris de détresse lorsqu’elle est atteinte par un de ces inévitables chômages que provoque la politique, la réserve des capitaux ou l’encombrement des magasins. Elle s’exclame, et ne comprenant, ne pouvant rien comprendre aux événemens dont elle souffre, elle ne ménage point les accusations : « C’est la main-d’œuvre à prix réduit des prisons, des maisons centrales et des couvens qui nous ruine. » Il ne manque pas de bonnes gens pour le croire, et les communautés religieuses savent alors que l’on regarde de leur côté avec colère. Pendant la commune, ces objurgations furent écoutées ; on supprima le travail dans les prisons de Paris. A Sainte-Pélagie, il fallut distribuer de l’ouvrage aux détenus, qui s’ennuyaient trop.

Lorsque le mauvais vent qui souffle et qui a déjà déraciné les emblèmes de la foi sans ébranler la foi elle-même, se sera épuisé à tourbillonner dans le vide, les Sœurs de Saint-Paul pourront donner à leur ouvroir le développement qu’il comporte, et ce sera tant mieux pour les aveugles, que l’on recevra en plus grand nombre et auxquelles on ne sera plus obligé de mesurer la place. En attendant, on agit sagement d’accepter un gain modeste, beaucoup trop modeste, et qui est plutôt le prétexte que le motif du travail. Il est indispensable que l’aveugle se croie utile et, s’il se peut, qu’il le soit. La satisfaction de l’habileté acquise soutient le courage et excite l’émulation des pauvres filles que j’ai vues, qui sont aveugles, comme saint Paul l’a été et pour lesquelles Ananias ne viendra jamais. Se figure-t-on ce que serait l’existence mentale de ces malheureuses si elles restaient inoccupées dans la double nuit de la