Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvée vérifiée par l’exemple de Gioberti lui-même. En effet, dans la polémique qui s’éleva plus tard en Italie entre Rosmini et Gioberti, celui-ci ayant accusé Rosmini de panthéisme, Rosmini répliqua par un écrit intitulé : Gioberti et le Panthéisme, dans lequel il montra que c’est Gioberti qui est panthéiste beaucoup plus que lui-même ; et ils avaient tous deux raison.

Pour en revenir aux trois formes de panthéisme distinguées par Gioberti, on peut dire que le panthéisme émanistique est représenté par l’école d’Alexandrie, le panthéisme idéalistique par l’école éléatique, et la panthéisme réalistique par l’école de Spinoza. Dans laquelle de ces trois formes rentrerait le panthéisme de Cousin ? Ce ne serait certainement pas dans la doctrine de l’émanation, car il n’a jamais fait allusion à rien de semblable ; ce ne serait pas davantage le panthéisme idéaliste, car il a toujours répudié l’éléatisme ; ce ne pourrait donc être que le panthéisme réaliste de Spinoza, admettant à la fois la réalité de Dieu et du monde, et les unissant par un lien indissoluble. Cependant, Cousin, dans cette même préface de 1833, essayait de se distinguer de Spinoza en disant que le Dieu de Spinoza est substance mais qu’il n’est pas cause, tandis que Dieu tel qu’il le concevait lui-même était à la fois substance et cause. Mais Gioberti ne se rendait pas à cette explication et il y répondait en distinguant encore deux sortes de panthéisme réaliste : l’un qui considère les attributs et les modes comme éternels en Dieu ; l’autre qui les considère comme des productions de Dieu, cette dernière forme étant celle qui caractérisait la doctrine de Cousin.

Dans la préface de 1838 (3e édition des Fragmens), Victor Cousin revient encore sur cette question du panthéisme, et il cherche de nouvelles explications. S’il a parlé d’unité de substance, dit-il, il ne l’a fait qu’accidentellement et par hyperbole ; il a voulu simplement accentuer la différence de Hêtre absolu et dépêtre relatif ; il a voulu dire qu’à proprement parler, Dieu est le seul être qui mérite ce nom ; et « qu’en face de l’être absolu et infini, les substances finies sont bien près de ressembler à des phénomènes ; » les platoniciens et les pères de l’église avaient souvent eux-mêmes employé un pareil langage. Il est à remarquer que, du temps même de Spinoza, Bayle nous rapporte une justification semblable donnée par certains spinozistes, et il démêlait avec sa sagacité pénétrante et subtile l’équivoque contenue dans cette apologie[1]. Il est douteux également que l’explication atténuante, proposée ici par Victor Cousin, pût s’appliquera tous les passages incriminés. Sans doute, au point de vue d’un platonisme un peu exalté, on peut bien dire que le monde n’est rien par rapport à Dieu ; mais, en dehors du

  1. Dictionnaire, article Spinoza, note D D.