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« J’ai cru devoir rapporter tous ces détails, passer même sous silence quelques autres gasconnades du roi de Prusse, qui viennent plutôt, j’en suis sûr, de l’impétuosité de son tempérament que d’aucune résolution sérieuse de mettre à exécution ce dont il menace. Je le crois aussi effrayé que qui que ce soit de dégainer, et il ne se sert de ce mot que parce que, sachant l’effet que la menace ferait sur lui-même, il imagine qu’elle en produira autant sur les autres[1]. »

C’était pourtant trop tôt chanter victoire, et le bon, le pacifique Podewils, quoi qu’il en dît, n’était nullement sûr d’avoir encore ramené son maître à des sentimens plus calmes. Il dut en douter surtout si, comme il est à croire, il reçut lui-même à bout portant, en réponse à ses conseils de modération, quelque algarade de la nature de celle-ci, que nous trouvons consignée tout au long dans les publications prussiennes : « Mais vous n’envisagez donc pas quelles sont les conséquences de la marche des Anglais en Allemagne ! Ils iront en Souabe, attireront à eux tous les princes de l’empire et les forceront de joindre leurs troupes aux anglaises ; ils forceront aussi les Français de sortir de l’empire ; ils donneront la loi à l’Allemagne, feront le grand-duc roi des Romains et se moqueront ensuite de toutes les déclarations qu’ils nous ont faites. Et ce sera votre faute que tout cela, parce que vous avez une prédilection inconcevable pour ces infâmes Anglais et que vous croyez que je serai perdu si je me fais valoir et que je fais sentir au roi d’Angleterre que je n’approuve pas sa conduite, et que je suis d’humeur à m’y opposer… Ne voilà-t-il pas encore ma poule mouillée[2] ! »

Effectivement, soit qu’il ne pût dominer son impatience, soit qu’il n’eût pas désespéré d’agir par intimidation, Frédéric essaya de revenir à la charge avec Hyndford, cette fois en lui portant un coup droit qui visait au cœur du roi d’Angleterre. Il faut laisser encore ici Hyndford lui-même rendre compte de ce nouvel et étrange incident. — « Je vous écris, dit-il à Carteret, au retour d’un bal masqué où j’avais pensé que j’aurais une occasion de découvrir quelque chose de plus des sentimens de Sa Majesté prussienne. Je ne me trompais pas, car après souper et après avoir pris, je crois, une dose passable de vin, le roi m’a pris à part et m’a dit : « Mylord, j’entends dire que les troupes anglaises sont en marche vers le Rhin, et si c’est vrai, je vous dis clairement qu’elles auront affaire à moi. Car, encore un coup, je ne veux pas souffrir que ces troupes étrangères entrent dans l’empire pour en troubler le repos… Si elles

  1. Hyndford à Carteret, 18 décembre 1742. (Correspondance de Prusse. — Record Office.)
  2. Pol. Corr., t. II, p. 327.